À cause du prix faramineux des loyers, des Montréalais.e.s sont forcé.e.s de retourner en colocation – ou même chez leurs parents – pour combler un besoin primaire: se loger.
Il y a quelques années à peine, l’horreur immobilière des villes comme New York et Toronto ne semblait être évoquée que pour nous prévenir de ne rien tenir pour acquis. Mais le cauchemar s’est matérialisé alors que l’on constate avec effroi la hausse explosive du prix des logements à Montréal.
Une enquête du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) révélait en juin de l’année dernière que le loyer moyen d’un 4 ½ à louer au Québec est passé de 1032 $ par mois en 2020 à 1222 $ en 2021.
Face à cette situation préoccupante, il est devenu presque impossible pour les personnes à faible et moyen revenu de se loger seules. Le retour en colocation sera-t-il un passage obligé pour les personnes impuissantes devant l’augmentation féroce du prix des loyers? Quels moyens de défense reste-t-il aux locataires pour se protéger d’un marché qui cherche moins à les loger qu’à les presser comme des citrons?
Perdre son chez-soi
C’est à la suite d’une séparation de couple que Caio a dû entreprendre de se chercher un nouveau logement. «Initialement, je cherchais un appartement pour moi seul, mais le constat de la hausse des loyers m’a forcé à retourner en colocation», avoue-t-il.
Pour Marie-Michèle, c’était un peu différent. Incapable de payer son loyer seule à la suite du départ de son colocataire, elle s’est résignée à retourner vivre chez ses parents, une situation moins qu’idéale pour cette jeune trentenaire inquiète de ne pas retrouver un jour son intimité dans un appartement abordable.
Rupture amoureuse ou locative, éviction ou perte d’emploi, de nombreuses personnes comme Caio et Marie-Michèle traversent une période de transition difficile à la suite de grands bouleversements personnels. Des solutions qui devaient être temporaires deviennent ainsi permanentes, et des gens déjà vulnérables se voient forcés de sacrifier leur confort ou leur sécurité pour arriver à se loger.
Les comités logements sont témoin de plus en plus de détresse face à l’explosion du prix des loyers, rapporte Cédric Dussault du RCLALQ. Dans un contexte aussi hostile, les périodes de transition peuvent rapidement devenir des pentes glissantes vers la précarité. Des campements comme ceux qui avaient été érigés sur la rue Notre-Dame pourraient devenir de plus en plus communs.
Et il y a bien sûr la réalité des femmes qui atterrissent dans un centre de deuxième étape après avoir fui la violence conjugale, et qui, devant l’impossibilité de se loger, ne verront souvent d’autre choix que de retourner vivre avec leur agresseur.
Un cauchemar nommé punaises
«J’avais trouvé une perle d’appartement, un petit 4 ½ en plein Mile End. Quand j’ai repris le bail d’une amie en 2017, il me coûtait moins de 600 $», se souvient Ève.
La lune de miel aura duré quatre ans, avant que l’enfer s’invite chez elle en mars 2021, en plein couvre-feu. Une infestation de punaises, exacerbée par des propriétaires négligent.e.s, aura eu raison de son petit nid douillet: «J’ai voulu céder mon bail à une amie qui voulait l’appart malgré les punaises, mais la proprio voulait rien savoir.»
Au mois de juin, entre deux traitements d’extermination, la propriétaire rentrait chez Ève avec ses hommes à tout faire pour prendre des mesures, profitant du départ imminent de la locataire pour faire des rénovations. Quelques mois plus tard, le voisinage d’Ève lui a envoyé les photos de son ancien logement à louer: de nouveaux comptoirs et un carrelage neuf pour près de 1000 $ par mois, mais, son voisinage le lui confirme, toujours autant de punaises.
Confrontée à un marché immobilier en pleine crise, Ève s’est alors résignée à retourner en colocation bien malgré elle. «Avec la hausse fulgurante des prix, je sais bien que je ne retrouverai plus jamais un appartement [en solo] à ce prix-là.»
La faute des propriétaires?
On connaît le pattern: des propriétaires saisissent le battement entre deux locations pour faire grimper le prix d’un loyer de plusieurs centaines de dollars, avec ou sans travaux cosmétiques. Si la plupart des propriétaires omettent d’écrire le prix du loyer précédent dans la section G du bail, certain.e.s se permettent carrément d’en falsifier le montant. Est-il alors possible pour les locataires de contester la hausse abusive du prix d’un logement qu’ils ou elles s’apprêtent à habiter?
«Il est possible de contester [une hausse], mais ces démarches ne sont pas simples», déplore Cédric Dussault. Si les locataires subissent de la pression pour signer un bail qui indique bel et bien l’écart abusif avec l’ancien loyer, ceux-ci ne disposent que de dix jours après la signature pour contester l’augmentation à laquelle iels ont consenti. En cas de fausse déclaration du ou de la propriétaire, les locataires doivent présenter leur demande de fixation de loyer dans les deux mois suivants, à condition de bénéficier de la collaboration irréprochable des ancien.ne.s locataires.
Le problème dans ces situations, c’est que le fardeau de la preuve repose toujours sur les épaules des locataires. Puis qui voudrait se mettre à dos son ou sa futur.e propriétaire avant même d’occuper son appartement?
Faire front commun
C’est précisément pour redonner le pouvoir aux locataires que le RCLALQ mène la campagne «Les loyers explosent : un contrôle s’impose!», qui demande à la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, d’instaurer un contrôle obligatoire des loyers ainsi qu’un registre des loyers à l’échelle provinciale, des mesures qui élimineraient les abus des propriétaires immobiliers.
En attendant la réaction gouvernementale, il reste la solidarité. En l’absence d’un registre institutionnel, le Registre des loyers citoyen est une plateforme de données ouvertes qui permet aux locataires d’enregistrer eux-mêmes le prix de leur loyer par souci de transparence. Et même si ce n’est pas une solution infaillible, la cession de bail demeure tout de même l’un des derniers mécanismes de défense pour rester solidaire face à la hausse du prix des loyers. Parce que là où les lois échouent à nous protéger, c’est à nous de prendre soin les un.e.s des autres.