Femme engagée qui se donne les moyens de ses ambitions, Maud Cohen, nouvelle directrice générale de Polytechnique Montréal, compte sur la collaboration et l’innovation afin de s’assurer que la célèbre institution ne s’assoit pas sur ses lauriers, à l’aube de son 150e anniversaire.
Première femme à la tête de cette école de génie, profession encore à prédominance masculine aujourd’hui, il s’agit d’une nomination particulièrement significative, l’établissement ayant de surcroît été la cible de la plus grande tuerie antiféministe de l’histoire du Québec, le 6 décembre 1989.
Bien que Maud Cohen soit très consciente de ce symbole, elle ne se laisse pas écraser par le poids de celui-ci. C’est à la lecture de publications sur les réseaux sociaux à l’annonce de sa nomination qu’elle a ressenti une certaine responsabilité.
«J’ai reçu des témoignages de personnes qui étaient présentes lors des évènements du 6 décembre, de femmes qui viennent de partout à travers le monde […], de pères dont les filles étudient en génie», raconte celle qui était précédemment présidente et directrice générale de la Fondation du CHU Sainte-Justine.
«Ce qui m’importe le plus, ce n’est pas d’être la première femme, c’est d’arriver à la tête d’une institution qui a un impact sur la société»
C’est la tragédie du 6 décembre qui a fait connaître le génie à Maud Cohen, elle-même diplômée de Polytechnique. Celle qui se dirigeait vers des études en médecine s’est réorientée vers cette profession, attirée par la diversité de portes qu’elle pouvait ouvrir.
Les cicatrices du crime haineux étaient encore vives à son arrivée en 1991. L’ingénieure cite notamment l’exemple d’un professeur ayant prodigué des premiers soins à titre de premier répondant à l’étage où a sévi Marc Lépine. Un traumatisme qui s’est toutefois transposé à ses yeux en un accueil particulièrement chaleureux. «Il y avait une bienveillance dans le personnel […] pour s’assurer que les femmes qui rentraient à la Polytechnique avaient un sentiment d’inclusivité», se remémore la dirigeante.
À l’époque, l’établissement d’enseignement supérieur comptait 20% de femmes, un taux qui a grimpé à 30% aujourd’hui. Une hausse qui, bien qu’insuffisante, fait une différence significative selon Maud Cohen, puisqu’elle permet aux femmes de mieux assumer leur rôle. «Aussitôt qu’il y a 30% d’un genre ou d’une diversité, on est capable d’avoir une influence», explique-t-elle, faisant référence à des études universitaires.
Au cours de notre entretien, la directrice générale revient souvent sur l’importance de former «l’ingénieur.e de demain», qui serait le cœur de la mission sociale de Polytechnique. Un.e ingénieur.e dont les intelligences scientifique et sociale lui permettront de répondre aux enjeux auxquels nous faisons face, en premier lieu la crise climatique. Des enjeux qui «transcendent la science pure» et qui requièrent plus qu’une formation scientifique.
L’expérience étudiante est l’autre grand chantier auquel elle compte s’atteler, compte tenu des problématiques de pression sociale et de santé mentale largement répandues dans les campus universitaires, qui la touchent personnellement. «Pour moi, c’était essentiel d’être performante et de réussir à tout prix [lors de ses études]», se rappelle-t-elle.
L’ancienne présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec souhaite véhiculer un message bien différent à la population étudiante sous sa gouverne: «Oui, c’est important d’exceller, mais c’est aussi important d’aller chercher des éléments additionnels à une formation […] il faut se donner la chance d’ouvrir des portes et de tester des choses pendant que le risque est peut-être moins grand que lorsqu’on est sur le marché du travail.»