Malgré les cinq millions de dollars investis depuis 2010 pour faire de la rue de Charleroi une artère commerciale digne de ce nom, les locaux commerciaux vides sont encore très nombreux et l’arrondissement de Montréal-Nord peine à trouver des investisseurs qui souhaitent s’y installer.
Bien qu’il n’existe pas de registre précis en temps réel pour dénombrer le nombre de locaux vacants sur cette artère commerciale principale, le site internet de la Corporation de développement économique communautaire (CDEC) de Montréal-Nord en dénombrait une quinzaine, selon un décompte sommaire effectué cet été.
Suffit de marcher sur la rue pour constater les nombreuses vitrines de commerces placardées, souvent avec du papier brun, et décorées de pancartes «À vendre» ou «À louer», particulièrement entre les avenues Garon et Éthier.
Déclin malgré des investissements
Le président de l’Association des commerçants de la rue de Charleroi (ACC), Ghislain Prud’homme, qui exploite lui-même un commerce sur cette artère depuis cinq ans, est d’avis que «la rue de Charleroi périclite.»
Pourtant, ce n’est pas parce que l’arrondissement lésine sur les investissements. Depuis 2010, l’administration Deguire a dépensé 3,6 M$ pour élargir les trottoirs, aménager des saillies et des traverses piétonnes avec un pavage coloré et pour différents items de mobilier urbain.
Une somme de 1,2 M$ a aussi été injectée pour rénover la bibliothèque.
Ça n’a toutefois pas suffi à renverser la vapeur, croient les commerçants.
«Il y a plus de locaux vides maintenant que lorsque je suis arrivé, il y a cinq ans», observe le président de l’association, qui compte une trentaine de membres.
M. Prud’homme, qui doit renouveler son bail en mai prochain, songe même à aller s’implanter ailleurs.
Problèmes multiples
Selon ce commerçant, il est difficile d’identifier un seul problème qui explique la désertion de l’artère, mais l’intransigeance de l’arrondissement dans l’application des règlements concernant l’aménagement urbain y joue certainement un rôle, à son avis.
D’autres commerçants parlent plutôt de frais liés à la bureaucratie.
Denis Ducasse, propriétaire d’un bistro, a eu une bien mauvaise surprise la journée même de l’ouverture de son commerce, en juin dernier.
«Une inspectrice était ici pour me réclamer 1200 $ en demandes de permis. Comment veux-tu qu’un commerce puisse s’épanouir dans ces circonstances», gronde-t-il.
Économie défavorable
S’il n’est pas en mesure d’estimer s’il y en a plus ou moins de locaux vacants qu’il y a cinq ans, le directeur de l’aménagement urbain, Hugues Chantal, reconnaît que la situation actuelle n’est pas rose.
«Il faut prendre en considération la conjoncture économique. Toutes les petites artères commerciales de quartier ont de la misère en ce moment.»
Depuis le printemps, des rencontres mensuelles ont lieu entre l’arrondissement et les marchands, pour tenter de les impliquer dans la recherche de pistes de solutions, mais «ça va prendre du temps», prévient M. Chantal.
Le maire Gilles Deguire, refuse aussi d’abandonner. «Nous avons toujours cru à la rue de Charleroi et nous y croyons toujours», dit-il, précisant que l’artère compte tout de même «quelques joyaux».
Par ailleurs, Montréal-Nord planche actuellement sur une nouvelle façon de faire pour accélérer la délivrance de permis et est en train de restructurer ses bureaux pour qu’un commerçant, qui débute en affaires, puisse retrouver tous les services au même endroit. Une sorte de solution «clé en main», espère le maire Deguire.
La recette du succès
Selon Jacques Nantel, professeur au département marketing de HEC Montréal, trois ingrédients sont essentiels pour qu’une artère commerciale fonctionne.
Une mixité commerciale (produits, services et divertissements), un coup d’œil attrayant (arbres, mobilier urbain) et une accessibilité que ce soit par transport en commun ou grâce à du stationnement.
«Ça prend une détermination pour appliquer la recette de la part de l’administration, mais aussi des marchands», explique l’expert.
À son avis, les commerçants sont peut-être un peu rapides sur la gâchette lorsque vient le temps de blâmer une administration pour des insuccès commerciaux.
«C’est plus facile de dire que l’arrondissement ne va pas assez vite [pour l’émission de permis], par exemple. Mais ça prend une association de marchands forte et proactive pour s’asseoir avec l’arrondissement et regarder comment améliorer la situation.»
La clé est donc de travailler main dans la main, selon M. Nantel. «Si une artère commerciale ne fonctionne pas, c’est un blâme partagé, mais si elle fonctionne, c’est aussi une réussite partagée», résume-t-il.