Le 30 octobre 1995, le Québec a tenu un deuxième référendum sur son indépendance. La date demeure un souvenir indélébile de notre mémoire collective. Si la province a ultimement choisi de demeurer au sein de la fédération, familles, quartiers et communautés se sont déchirés entre les camps du Oui et du Non. Vingt ans plus tard, TC Media a demandé à certains élus montréalais de nous raconter, de leur point de vue, cette journée marquante et de nous parler de l’héritage référendaire.
Les deux «grands chagrins» de Jean-François Lisée
En 1995, Jean-François Lisée est conseiller politique pour le premier ministre du Québec, Jacques Parizeau. Le 30 octobre, l’actuel député péquiste de Rosemont vit les moments les plus intenses de sa carrière. Vingt ans plus tard, il confie ne plus avoir jamais connu de journée semblable et livre sa pensée dans un ouvrage intitulé «Octobre 1995. Tous les espoirs, tous les chagrins», attendu jeudi, en librairie.
«C’était une journée d’espoir, explique M. Lisée. Et le soir, on a eu deux grands chagrins, celui de la défaite et celui du discours de M. Parizeau. Il n’y a pas une journée dans ma vie personnelle ou professionnelle qui a été comme celle-là.»
L’adrénaline a tenu le député rosemontois en haleine toute la journée, lui faisant même oublier certains chapitres de la soirée, dont un échange avec Françoise David.
«Je ne le connaissais pas très bien à l’époque, mais je savais qu’il préparait les discours du premier ministre. Je suis allée le voir dans une salle quasiment vide et lui ai demandé: « Vous n’aviez pas fait de discours à M. Parizeau? » Il m’a regardé et m’a répondu: « Oui, Mme David, il en avait un dans sa poche, mais il ne s’en est pas servi. » Il n’a rien dit de plus», confie la députée de Québec solidaire dans Gouin.
Ce soir du 30 octobre 1995, M. Parizeau prononce une déclaration qui marquera l’Histoire du Québec: «c’est vrai qu’on a été battu, au fond, par quoi? Par l’argent, puis des votes ethniques, essentiellement.» Une phrase qui ne figurait pas sur les notes rédigées par M. Lisée.
«Le discours de victoire était prévu. Il était même préenregistré. Mais, le discours du Non n’était pas prévu, car il dépendait du résultat. J’ai proposé d’écrire quelques notes au premier ministre. J’ai rédigé cela rapidement et je lui ai remis deux pages. Il les a regardées et les a mises dans sa poche. Mais, le reste lui appartenait. 85% du discours était excellent. C’était déjà arrivé qu’il n’utilise pas le discours et qu’il fasse quelque chose de bien, sinon mieux», reconnaît M. Lisée.
Le contrôle, jusqu’alors tenu par le député rosemontois, n’a pas résisté au discours.
«Je ne savais pas quoi faire. Je m’étais engagé à donner une entrevue à Radio-Canada après le discours. Je me souviens, je suis sur le plateau au Palais des congrès, j’ai l’oreillette, j’ai le micro, c’est Jean-François Lépine qui est au bout du fil en studio, mais je me demande ce que je vais bien pouvoir dire. Et là, j’ai dit: »Jean-François, je ne peux pas faire ça ». C’est la première fois de ma vie que j’ai dit non», note-t-il.
M. Lisée se souvient également d’un autre moment qui l’a profondément touché.
«On avait donné le maximum et on était fier de notre campagne. C’est un moment où tout est fait et on attend que M. Parizeau fasse son discours. Je suis assez zen, debout devant l’estrade du Palais du congrès, et là, une militante que je ne connais pas, vient me voir et me dit: « M. Lisée, vous avez bien travaillé ». À ce moment-là, j’ai eu beaucoup de difficultés à retenir mes larmes parce c’était la première fois de la journée que quelqu’un disait quelque chose qui me concernait directement. Il ne faut pas me faire de compliments pendant que j’essaie d’être en contrôle parce que les vannes vont s’ouvrir», se remémore-t-il en souriant.
François Croteau, scrutateur pour le PQ
Le 30 octobre 1995, le maire de Rosemont–La Petite-Patrie, alors âgé de 23 ans, est un nouveau venu dans la métropole et réside dans Côte-des-Neiges. Il milite pour le camp du Oui et tient sa place de scrutateur du Parti québécois (PQ) dans la circonscription D’Arcy-McGee.
«Je passais la journée comme scrutateur pour les souverainistes. À la fin de la journée, il n’y avait qu’un seul vote pour le Oui dans ma boîte de scrutin, donc une victoire du non à 99.5%», se remémore M. Croteau.
Un moment douloureux pour le jeune homme de l’époque. «Honnêtement, c’était un choc personnel, mais quand je suis sorti du bureau de vote, le Oui était en avance. J’ai pris l’autobus pour rentrer chez moi et le temps du déplacement, le camp du Non avait repris de l’avance. Le temps d’un trajet, et tout avait changé entre mon bonheur, ma déception et ma tristesse. C’est un moment historique dont je vais toujours me rappeler», confie-t-il.
La phrase qui a tout changé
À cette époque, Françoise David n’est pas une élue. Elle est présidente de la Fédération des femmes du Québec et milite pour le Oui, à travers la province.
Elle se souvient du discours de Jacques Parizeau. Un moment qui a marqué l’avenir du Québec, selon elle.
«Je me rends au rassemblement au Palais des congrès. Là, on sait que le Non a gagné, car c’est sorti assez rapidement. On est triste, évidemment. Jacques Parizeau prend la parole. Je suis assise à l’avant de la salle, dans la troisième rangée. Et là, il prononce la phrase que tout le monde connaît depuis. À ce moment précis, je suis partie à pleurer. Qu’il parle de l’argent, je m’en fichais, mais le vote ethnique est venu me chercher, car à la Fédération des femmes du Québec, il y avait des femmes de cultures différentes qui s’étaient ralliées au Oui. Je me suis sentie insultée et chagrinée. Cela m’a rendu plus triste que les résultats d’autant que je l’aimais bien Jacques Parizeau», se souvient la députée de Québec solidaire dans Gouin.