La Compagnie Théâtre Créole, établie depuis 2012 à Saint-Léonard, soufflera sa dixième bougie à l’occasion d’un gala organisé vendredi pour célébrer son rôle essentiel dans la transmission et la défense de la culture haïtienne et créole à Montréal. Son metteur en scène et cofondateur, Ralph Civil, revient sur 10 années de théâtre, d’Haïti à Saint-Léonard.
«La compagnie de théâtre vient d’Haïti, dans une période où il y avait une pénurie de productions théâtrales. C’était en 1999 à Port-au-Prince. À cette époque, nous étions quatre acteurs», se remémore l’ancien étudiant de l’École nationale des arts d’Haïti.
«On n’avait pas beaucoup de textes à jouer, poursuit-il. Pour moi, il était donc plus pratique et vivant d’en écrire, en français comme en créole, pour poursuivre [nos représentations]».
L’ancien comédien devenu dramaturge par la force des choses a graduellement pris goût à l’écriture, abandonnant éventuellement le rôle d’acteur pour se consacrer au perfectionnement de son écriture et, plus que tout, pour assouvir son insatiable curiosité de metteur en scène.
«Le théâtre est un médium qui offre d’énormes possibilités. On fait des recherches sur une panoplie de sujets pour interpréter les œuvres théâtrales», explique le passionné.
Transes et transformations
Dans ses adaptations comme pour ses propres pièces, Ralph Civil n’a jamais eu peur d’aborder les crises ayant secoué le peuple haïtien.
«Mon théâtre est plutôt social. Il traite de l’histoire de mon pays toujours en crise depuis ma naissance», explique le dramaturge, qui fait référence à l’instabilité politique chronique qui a déstabilisé l’État haïtien tout au long de son histoire, et qui constitue son sujet de prédilection.
Bien qu’il mette en scène des adaptations d’œuvres «très classiques» telles qu’Antigone ou En attendant Godot, Ralph Civil les place toujours dans un cadre très haïtien. «J’aime beaucoup l’adaptation de Félix Morisseau-Leroy, qui présente le roi Créon comme un « chef section », une sorte de responsable de l’État [à Haïti]. Ça reste dans l’imaginaire de tous les Haïtiens», illustre-t-il sur un ton ricaneur.
Les «hypnogrammes» sociaux, terme faisant référence à l’étude des phases d’éveil et de sommeil, sont aussi au cœur du processus artistique de Ralph Civil. «C’est un genre théâtral issu de la culture haïtienne qui explore le rapport aux transes liées au vaudou. C’est l’humain qui se transforme sur le plan spirituel, la transformation sociale à travers l’individu», explique le directeur.
Défendre l’art haïtien à Montréal
La Compagnie Théâtre Créole fait désormais la promotion d’autres troupes de théâtre, d’une panoplie de genres littéraires tels que la poésie et le slam, mais aussi d’artistes visuels haïtiens, dont certaines toiles ont déjà agrémenté les murs de la Bibliothèque de Saint-Léonard.
«J’habite à Saint-Léonard depuis que je suis arrivé [d’Haïti]. Nous encourageons les jeunes à faire du théâtre, à écrire de la poésie, des slams, et on les invite à des activités telles que des formations à la poésie et au théâtre. Tout ce que nous faisons me tient particulièrement à cœur», se réjouit le Léonardois, tout particulièrement fier, après 10 ans de théâtre, de son adaptation d’En attendant Godot et de son hommage à Antony Phelps, un poète et romancier haïtien réputé.
«Nous sommes impliqués jusqu’au cou, à tel point que je peux nous décrire comme des défenseurs de la culture noire. Car on se sent encore mal représentés, pas assez visibles. On doit se donner à fond pour acquérir et occuper la place publique, déplore le metteur en scène. On travaille jour et nuit pour faire avancer la cause.»
En plus du déficit de visibilité, il dénonce du même souffle une perception du théâtre qui demeure répandue, selon lui, au Québec. «On dit souvent que le théâtre est le parent pauvre des arts, car il ne permettrait pas de nourrir son homme.» Cette situation freinerait encore davantage l’épanouissement du théâtre créole, selon le dramaturge.
La Compagnie Théâtre Créole espère pouvoir reprendre les représentations de sa pièce 12e étage au retour des classes.