ANALYSE – Les effets de la pandémie ont été énormes sur le centre-ville de Montréal. Comment sa mixité sociale et son avenir peuvent-ils être protégés? Les auteures proposent d’y établir des écoles.
De centres des affaires presque exclusivement réservés aux activités commerciales et professionnelles, plusieurs centres-villes canadiens se transforment en lieux de vie habités. C’est le cas à Montréal où, même si elle est loin d’être atteinte, la mixité sociale en habitation est fortement valorisée par l’administration municipale.
Dans ce contexte, la question de l’architecture scolaire en centre-ville doit être examinée. Cela, même – ou surtout – en tenant compte du déplacement de ménages vers de plus petites villes, phénomène qui s’est accentué depuis la pandémie. La présence d’écoles peut justement contribuer à redresser cette tendance. En effet, elles sont indispensables à l’habitabilité de quartiers inclusifs.
Mais quelles écoles faut-il construire en centre-ville alors que la valeur du terrain y est calculée en fonction du nombre maximum de mètres carrés constructibles et des revenus qu’il est possible d’en tirer ? Le modèle d’un édifice monofonctionnel est-il celui qui convient ?
Architecte et professeure à l’Université de Montréal, rattachée au Laboratoire d’étude de l’architecture potentielle (LEAP), je mène avec ma co-auteure Alexandra Paré un projet de recherche-création qui traite de l’architecture scolaire en centre-ville.
Désert scolaire
À Montréal, le cas de Griffintown est éloquent. La transformation de ce quartier du Sud-Ouest, situé à la limite du centre-ville, a fait l’objet de débats dès les années 2000. Il se densifie à grande vitesse depuis le début des années 2010. Alors que des familles y sont installées depuis assez longtemps pour que leur progéniture soit en âge d’aller à l’école secondaire, Griffintown demeure dépourvu d’écoles publiques.
Créée en mars 2014, la page Facebook «Pour une école primaire à Griffintown» témoigne des représentations et des efforts des résidents pour que cet indispensable équipement public soit construit dans leur quartier. Presque une décennie plus tard, une école intégrée à un projet de logement communautaire devrait finalement voir le jour sur le site des Bassins du Nouveau Havre, toujours à Griffintown, d’ici la rentrée scolaire de 2023. Elle ne pourrait cependant accueillir que les premiers cycles du primaire.
Au centre-ville de Montréal, la situation est pour l’instant un peu moins catastrophique. Déjà, il est pourvu d’une école publique, l’école FACE située à proximité de l’Université McGill, qui est ouverte aux écoliers de la maternelle à la cinquième secondaire. De plus, deux projets sont en développement, l’un sur la rue de la Montagne, dans l’édifice qui abritait l’académie Bourget et sur le terrain adjacent, et l’autre sur le site du Grand Séminaire de Montréal.
Une cour de récréation sur le toit
L’architecture de ces écoles correspondra-t-elle encore au modèle que l’on connaît bien, celui d’un édifice monofonctionnel, à usage exclusif, équipé d’une cour de récréation au niveau du sol ?
Les documents accessibles en ligne qui présentent le processus «Planifions notre école», auquel est soumis le projet de la rue de la Montagne, laissent entrevoir une volonté d’adaptation aux réalités foncières du centre-ville.
En effet, des locaux seraient partagés avec la communauté et l’une des toitures de l’édifice serait occupée par une cour de récréation et une classe verte. C’est un début. Afin de réaliser un nombre d’écoles qui soit à la hauteur des ambitions municipales en ce qui a trait à la mixité, des alternatives au modèle connu doivent être considérées.
Des modèles moins géophages que celui de l’édifice scolaire isolé existent. À Amsterdam, par exemple, l’école Montessori De Eilanden, datant de 2002, conçue par l’architecte Herman Hertzberger occupe les deux premiers étages d’un édifice qui en compte cinq. Trois étages de logement couronnent l’édifice.
À une tout autre échelle, dans le Financial District de Manhattan, à New York, la Spruce Street School forme le socle d’un immeuble de 265 mètres qui compte 76 étages. La cour de récréation de l’école est installée en hauteur, au cinquième étage. Elle est à la fois intégrée au volume de l’édifice et ouverte à l’air libre : les embrasures de ses murs sont équipées de grillages de protection plutôt que de fenêtres. Complété en 2010, l’édifice est reconnu pour l’architecture singulière de sa tour résidentielle qui est l’œuvre de l’architecte Frank Gehry alors que le socle où loge l’école a été conçu par la firme Swanke Hayden Connell Architects. En plus de l’entrée de l’école, du hall de la tour résidentielle et de l’accès au stationnement, le rez-de-chaussée abrite aussi un café. De part et d’autre du rez-de-chaussée, l’édifice est bordé de petits espaces publics végétalisés qui sont équipés de bancs, et dans le cas de la placette adjacente à l’entrée de la tour résidentielle, d’une fontaine.
Une nouvelle école pour une nouvelle réalité
Ces deux exemples d’édifices multifonctions sont loin d’être uniques et le fait qu’ils soient situés dans des contextes bien différents [- la densité d’habitants au m2 carré de Manhattan est par exemple presque huit fois supérieure à celle d’Amsterdam qui, elle, est sensiblement inférieure à celle de Montréal -] démontre que de tels édifices peuvent répondre à différentes conditions urbaines.
Ces exemples illustrent la possibilité d’intégrer un programme d’école dans un édifice comprenant d’autres usages pour optimiser la densité construite. L’empreinte foncière peut être encore davantage minimisée par l’installation d’une cour de récréation en hauteur, comme c’est le cas à la Spruce Street School et dans d’autres écoles à Manhattan, ainsi que dans bien d’autres villes. Dans le quartier Limoilou à Québec, l’un des espaces de récréation de la nouvelle école Stadacona, issue des travaux du Lab-École, sera installé en toiture.
Si les exemples d’Amsterdam et de Manhattan associent tous deux école et habitation, d’autres combinaisons d’usages sont possibles. À Toronto, par exemple, l’ensemble Canoe Landing comprend deux écoles élémentaires qui partagent plusieurs espaces, un service de garde et un centre communautaire. La Ville-Reine sera aussi bientôt dotée d’une nouvelle école élémentaire dans un ensemble immobilier de très grande densité. Il est possible de concevoir bien d’autres exemples d’édifices abritant plusieurs usages qui se prêtent également au partage d’espaces intérieurs et extérieurs.
Il existe des alternatives au modèle architectural et urbain de l’édifice scolaire monofonctionnel de faible hauteur, équipé d’une cour de récréation au niveau du sol. Ils peuvent avoir un impact significatif sur l’avenir des centres-villes et contribuer à limiter un étalement urbain qui s’avère néfaste pour l’environnement.
Quels centres-villes et quelle architecture scolaire en centre-ville souhaitons-nous ? La réponse appartient aux citoyens sans doute, mais aussi, sinon surtout, aux commissions scolaires, aux municipalités, aux différentes instances gouvernementales et aux promoteurs immobiliers.
Anne Cormier, Professeure titulaire, Université de Montréal et Alexandra Paré, Doctorante en architecture, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.