Vivre ensemble

«Je suis une personne non-binaire de 23 ans»

Salem Billard, militant·e pour les droits trans et non-binaires

LETTRE OUVERTE – Damoixes, Mesdames et Messieurs (Damoixes est un terme suggéré comme titre de civilité neutre et inclusif) 

Mon nom est Salem Billard, je suis une personne non-binaire de 23 ans, j’utilise les pronoms « iel » et « il » et je me genre au masculin. Dans la dernière année, j’ai commencé, sans grand espoir, à faire des capsules sur la non-binarité sur la plateforme en ligne TikTok. Presque 12 mois et 20 000 abonné·es plus tard, je suis désormais l’une des rares voix francophone qui prend parole à propos des enjeux des personnes trans et non-binaires. Nous sommes si peu à vouloir prendre parole, et c’est principalement parce qu’en ce moment, faute de représentativité dans les médias et d’information auprès de la population générale à propos de notre existence et de notre réalité, nous risquons gros à nous afficher. 

Prenons simplement exemple de quelques commentaires tirés de mes médias sociaux : 

Sur une vidéo où je questionne la possibilité de participer à une téléréalité de rencontre en tant que personne non-binaire, bisexuelle et polyamoureuse : « Tu ne pourras pas le faire si tu es pendu dans ta chambre. » – de la part d’un troll 

Sur une vidéo où je fais juste danser : « Tu m’écoeures. » – de la part d’une jeune maman 

Sur une vidéo où je parle de mon métier d’intervenant jeunesse en santé sexuelle : « Ok, demain je retire mes enfants de l’école, pas prendre de chance… » – de la part d’un homme gay de probablement d’1.5x mon âge et qui, selon ses réseaux sociaux, n’a pas d’enfant… 

Sur une vidéo où ma mère dit qu’elle me supporte : « Bon, c’est laquelle de tes blondes qui a mis le gun sur sa tête? » 

Voir LE PANTÉHON de l’intolérance sur mon site webwww.fucksalem.ca 

Et plus encore. De jeunes parents qui me disent qu’iels renieront leurs enfants s’iels avaient à être non-binaires, des enseignant·es qui donnent du gaz aux préjugés véhiculés par les jeunes auxquels iels enseignent, des cinquantenaires qui partent chaque jour en campagne de salissage à mon endroit et à l’endroit des gens qui me supportent, des ados qui me menacent de mort ou qui m’invitent au suicide. TOUS. LES. JOURS. Pourquoi? Parce que devoir chambouler nos habitudes, notre confort, pour inclure tout le monde, sa chatouille trop la majorité pour à peine penser que sa fasse sens de s’adapter, on préfère répondre avec la violence à un mouvement et une demande qui se veut, à la base, bienveillante. 

Quand on parle d’ajuster la langue, on parle de faire de la place aux pronoms neutres et au langage épicène, encourager, ou du moins, ne pas punir, l’utilisation du doublet abrégé et tenter de dégenrer nos interactions quotidiennes qui ne nécessitent pas de genre pour s’effectuer. Vous venez de lire un début de texte entier qui utilise le plus souvent possible le langage épicène, soit les mots de notre jolie langue, qui existent déjà, et qui ne sont pas touchés par des déviations de genre, ces mots s’écrivent de la même façon au masculin ou au féminin, quelques fois le doublet abrégé et le pronom « iel ». Ces marques d’inclusivité linguistiques ont-elles rendu votre lecture plus difficile qu’à l’habitude? Non? Ah bon. Comprenez-vous bien mon texte? Oui? C’est curieux. A-t-on besoin de connaître mon genre pour me vendre de l’épicerie ou un café? Non? Alors, à quoi sert-il d’assumer mon genre en m’accueillant d’un « Bonjour, Madame »? Serait-ce que des caprices? Non, la vraie réponse, c’est que, ce n’est pas parce qu’on a toujours fait ça qu’on a toujours eu raison et la résistance de la société témoigne plus de l’esprit réfractaire de la majorité que des demandes déraisonnables de la minorité. Le genre est une construction sociale qui n’a rien à voir avec les organes génitaux. 

Mais qu’est-ce la non-binarité? Si on se réfère à la définition simple de ce qu’est la TRANSIDENTITÉ, soit le fait d’être trans, on lit ce qui suit : « La transidentité est le fait, pour une personne transgenre, d’avoir une identité de genre différente du genre assigné à la naissance. »¹ Le genre qui nous a été assigné à la naissance, c’est l’identité de genre (homme ou femme) qu’on a supposé pour nous lors de l’observance de nos organes génitaux, le jour ne notre naissance. La transidentité se redivise en deux grandes catégories : la transidentité binaire, qui s’adresse aux personnes qui passent d’un genre binaire à un autre genre binaire (d’homme à femme et inversement) et la transidentité non-binaire, qui s’adresse aux personnes qui s’identifient à un ou des genres qui se trouvent entre homme et femme sur le spectre des genres (bigenre, demi-boy, demi-girl, etc.) ou à l’extérieur du spectre des genres (agenre, de genre neutre). « Non-binaire » est un terme parapluie qui englobe toutes les identités de genre qui ne s’inscrivent pas dans « strictement homme » et « strictement femme ».²  Ainsi, la non-binarité est une forme de transidentité.  

En 2016, l’ONU nous disait que 1,7% de la population naitrait intersexe. Pour imager la situation, les bébés intersexes sont aussi fréquents que les bébés roux.³ Qui aurait l’aurait l’audace de dire que les roux·sses n’existent pas? Personne, n’est-ce pas? Alors pourquoi n’entend-t-on jamais parler de l’intersexualité? Parce que c’est la preuve « biologique » que la non-binarité existe, pis ça, on ne veut pas le voir. L’intersexualité est le fait de naître avec des altérations génitales, chromosomiques ou hormonales de sorte que ces personnes ont des composantes sexuelles appartenant aux deux sexes qui sont sur l’extrême du spectre des sexes, soit mâle et femelle. On parle de personnes qui ont des organes génitaux indéfinis, qui ont des variations aux niveaux des chromosomes sexuels (il existe plus d’une vingtaine de combinaisons chromosomiques!) ou encore qui ont plus d’hormones appartenant au sexe opposé que sensé. Des gens qui ne peuvent se fier à ce qui se trame dans leur pantalon pour définir qui iels sont par rapport à la société. Mais a-t-on besoin d’ajuster notre société a une (si grande!) minorité? Oui, parce qu’on n’arrête pas d’avoir des accommodations pour les personnes qui vivent avec un handicap, même si la majorité de la population n’est pas touchée par des handicaps à l’accès. Pis, il ne faut pas oublier qu’1,7% de la population rapporté sur 8 milliards de personnes, ça fait quand même 13,6 millions…  

Après, je crois qu’on est tous·tes aux vues et au sus de la transidentité. En 2022, je crois que personne ne peut se dire ignorant du fait que certaines personnes naissent avec un sexe biologique et/ou un genre qui ne leur convient pas. Des hommes deviennent des femmes et inversement depuis assez longtemps. Mais qu’arrive-t-il quand les deux seules options que la société promeut ne nous conviennent pas? Qu’arrive-t-il quand on se rend compte que tout ce qu’on me dit « qui fait de moi une femme » est un mécanisme de socialisation qui fera de moi une éternelle victime? Qu’arrive-t-il quand on se rend compte que tout ce qu’on me dit « qui pourrait faire de moi un homme » sont des mécanismes de socialisation masculinistes qui mettent en danger les femmes? Qu’arrive-t-il lorsqu’on ne veut pas adhérer au système qui est responsable de la criminalisation de l’homosexualité jusqu’en 1969, des rôles de genres qui sont responsables de la victimisation genrée, de la masculinité toxique, de la taxe rose, du patriarcat et de tout ce bla bla là. On n’existe pas, c’est ça qui arrive. 

Enfin, c’est ce qu’on croit. Les intervenant·es sur mes réseaux sociaux ne sont cependant pas d’accord sur ce qui définis ce qu’est d’être un homme et être une femme. 

– Est-ce que ce sont les organes génitaux? Non, la transidentité l’explique bien, une femme trans qui choisi de ne pas subir de chirurgie et qui se contente d’arborer son identité de genre socialement sans poser d’altération à son corps n’est pas moins une femme, même si elle a un pénis. Pis ça, on le sait parce qu’il existe tellement de raison pour lesquelles une personne trans pourrait choisir de ne pas subir de chirurgie, surtout lorsqu’on sait que les personnes 2SLGBTQIA+ sont sur-représentées dans les statistiques d’itinérance et d’instabilité financière. Pas d’argent pour obtenir les lettres de recommandation pour la chirurgie, pas assez stable financièrement pour assumer la convalescence, qui est trop courte pour être couverte par l’assurance-emploi… 

– Est-ce que ce serait le tempérament? Non, les principes selon lesquels les hommes doivent être forts et les femmes doivent être calmes et dociles sont des idéaux qui ont été mis en place pour garder les femmes à l’écart des positions de pouvoir, et ça, on le sait, parce qu’une femme qui se fâche, c’est une fémi-nazi, alors qu’un homme qui dénonce des choses, c’est dont remarquable. 

– Ok, dans ce cas, je suis une femme parce que j’ai des seins. Mais les seins, quand on se réfère à la définition médicale, c’est du tissus adipeux (de la graisse), de la glande mammaire et des tendons : les hommes peuvent contracter le cancer du sein puisqu’ils ont une glande mammaire et comme il est absolument impossible de n’avoir aucune graisse dans une région du corps, médicalement parlant, tout le monde a des seins… 

– Et mon utérus? Non, certains hommes trans ont encore leur utérus et ne sont pas moins des hommes, mon utérus ne fait pas de moi une femme. 

– Est-ce que je suis une femme parce que je peux enfanter? Non, les hommes trans qui conservent leur utérus peuvent donner la vie et les femmes infertiles ne sont pas moins des femmes parce que leur corps a refusé de remplir cette fonction.

– Et si j’arrivais à me faire pousser une moustache et une barbe, est-ce que je serais un homme? Non, prenons simplement exemple sur les femmes atteintes du syndrome des ovaires polykystiques et qui ont une pilosité plus masculine en raison d’un surplus de testostérone qui ont une barbe, elles ne sont pas moins des femmes. 

​- Est-ce que le fait que je mette une jupe ou des talons hauts fait de moi une fille? Eh non, la jupe est un vêtement simplement plus agréable à porter lorsqu’il fait très chaud et les souliers, c’est pour les pieds, pas pour les filles. D’ailleurs, le talon haut a été inventé, à la base, pour permettre aux hommes de mieux monter à cheval : le talon se coinçait dans l’étrier! Ensuite, le talon haut a été utilisé par les membres de la bourgeoisie, tant féminins que masculins, pour qu’iels puissent s’élever vers le Ciel plus que la plèbe. Le rose a déjà été une couleur associée à la masculinité comme le bleu à la féminité, même ça, ce n’est pas un bon argument. 

​Ainsi, visiblement, le genre n’est qu’un concept qui a été appliqué à la société pour maintenir les échanges de pouvoir entre les hommes et les femmes, à la faveur des hommes.  

​Le but de la sensibilisation de la communauté 2SLGBTQIA+ n’est pas d’éliminer le genre au grand complet. Les personnes qui sont réellement des femmes ont le droit et la légitimité d’utiliser le pronom « elle » et le mot « madame », les personnes qui sont réellement des hommes ont le droit et la légitimité d’utiliser le pronom « il » et le mot « monsieur », mais il est grand temps qu’on réalise, en tant que société, que les hommes et les femmes ne sont pas nos seules composantes. On souhaite simplement être pris·es en considération, cesser d’être effacé·es, parce qu’à force d’être invisibilisé·es, nous sommes marginalisé·es et mis·es en danger par le reste de la société. L’ignorance de la collectivité à l’égard de ma réalité m’aura causé des agressions physiques et verbales dans l’espace public, et certain·es d’entre-nous vivent ces violences dans leur famille, dans leur environnement de travail, dans les services gouvernementaux et c’est inacceptable. À la suite de ces attaques, on se demande pourquoi la réaction de la communauté est teintée de colère, comme si c’était cohérent de s’attendre à ce qu’on réponde à la violence avec un « merci ». 

​Ce qu’on demande, c’est d’être vu·es. Qu’on puisse se trimbaler dans la société sans avoir à se faire mégenrer ou encore à faire un mini coming out à chaque fois qu’on veut être respecté·es dans notre identité. Ce qu’on veut, c’est encourager les entreprises à former leur employé·es à utiliser le langage épicène et à éviter de genrer les gens lorsque ce n’est pas nécessaire, comme pour leur vendre un café ou de l’épicerie. Ce qu’on veut, c’est avoir des dirigeant·es qui parlent de leur population à l’image de sa pluralité, qui s’adressent aux gens avec des appellations qui résonnent en tout le monde, histoire de favoriser l’adhésion de tous·tes à la société… Et on a besoin des médias traditionnels pour y arriver. 

​Au début de ma carrière d’activiste pour les droits 2SLGBTQIA+, j’ai été reçu·e, au lendemain du jour de la femme, par Stephan Dupont, animateur au FM93, dans une entrevue sexiste et ridiculisante. C’était le 9 mars 2021. Quelques jours plus tard, M. Dupont est revenu en ondes, en mon absence, pour dire que j’avais besoin de me faire soigner. Depuis, la présence des personnes non-binaires dans les médias s’est presque faite nulle, et c’est aberrant que la seule couverture qu’on soit capable d’acquérir soit auprès de gens malveillants qui ne cherchent jamais à ouvrir leur esprit. Il est temps qu’on donne de la place à nos voix, qu’on nous laisse parler et qu’on converse avec nous avec respect. Qu’on parle d’histoires trans qui finissent bien et qu’on arrête de faire peur à nos jeunes en leur montrant sans cesse qu’être trans ou non-binaire, ça va venir avec un gros lot de souffrance. 

​Ainsi, j’en suis à vous offrir ma voix pour éduquer la communauté et parler de la réalité de personne non-binaire de la bonne façon. Il ne reste qu’à se demander si les médias auront l’audace de m’ouvrir leurs portes et leurs esprits…

Veuillez accepter, Damoixes, Mesdames et Messieurs, mes plus sincères salutations.

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