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Le sexisme dans le vote populaire à Star Académie

Claudia Raby - La Conversation

Le choix des gagnant.e.s de l’émission Star Académie par le vote populaire traduirait une vision stéréotypée et «genrée» de la compétence. Des biais sexistes feraient en sorte que le public aurait tendance à favoriser les hommes au détriment de leurs homologues féminines en dépit de leur talent, selon une analyse de Claudia Raby, doctorante en études littéraires à l’Université Laval.


ANALYSE – Pour la deuxième fois depuis 2003, le public de Star Académie a consacré en 2022 une gagnante contre un concurrent masculin. Depuis sa première mouture au Québec, les tendances du vote suggèrent toutefois que l’instinct populaire s’attache aisément aux artistes masculins et reconnaît difficilement la compétence de leurs collègues féminines, pourtant bien identifiée par les juges.

De cette propension plus manifeste cette année, a résulté une seule protection de femme par le vote populaire en six éliminations mixtes avant la finale. Autrement, le public n’aura protégé les chanteuses que lorsque le choix était exclusivement féminin.

On peut lire dans cette préférence l’héritage d’une vision traditionnellement genrée de la compétence, qui déconsidère les femmes. La persistance d’un angle mort sexiste dans notre inconscient collectif perpétue en effet l’association entre la crédibilité et le masculin, ainsi qu’entre la frivolité et le féminin.

Les doubles standards qui découlent de ces stéréotypes de genre ont été observés en 2019 dans le milieu littéraire par une étude de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). Idem dans la sphère de l’éducation, nous confirment des recherches menées entre 2014 et 2016 en France et aux États-Unis sur l’évaluation des enseignements par les étudiants et les étudiantes. Il en ressort une différence marquée dans les attentes, les exigences et les appréciations envers le travail des hommes et celui des femmes, au désavantage de ces dernières.

Le même constat émerge de mes recherches doctorales à l’Université Laval. En écrivant la biographie d’une intellectuelle québécoise (Jeanne Lapointe, 1915-2006), j’analyse notamment les résistances systémiques qui ont nui à la reconnaissance des accomplissements des femmes. On peut déceler cette réticence historique dans les réactions populaires qui ont ponctué la saison 2022 de Star Académie. Je propose d’en examiner certains biais de genre sous les regards croisés de l’histoire des femmes et de la sociologie de la culture.

Exigences accrues pour légitimer sa place

Rappelons d’abord l’étonnement qui s’exprimait dans les médias devant le fait que Krystel Mongeau «accède étrangement [à la] finale sans n’avoir jamais été plébiscité[e] par le public». Constatons ensuite qu’en l’absence de quotas genrés et en dépit d’une compétence féminine remarquée par le corps professoral, le public a si peu accordé son vote aux candidates qu’il est revenu au jury de leur assurer une place en demi-finale et en finale.

Pourquoi des artistes complètes telles qu’Audrey-Louise Beauséjour, Sarah-Maude Desgagné et Krystel Mongeau n’ont-elles jamais remporté le suffrage populaire avant la finale, alors qu’elles se démarquaient d’emblée? Pourquoi le capital de sympathie semble-t-il plus difficile à acquérir pour les femmes?

Notons que le monde traditionnel sur lequel s’érige notre société reposait sur un équilibre entre le travail des hommes dans la sphère publique et l’assignation des femmes à l’espace privé. Les premières à poursuivre des carrières publiques ont essuyé maintes objections parce que leur engagement menaçait cet ordre établi. En 1940, le romancier Claude-Henri Grignon contestait la pertinence de la journaliste Anne-Marie Gleason: «Cette bonne femme […] n’a su que vagir des impressions de boudoirs […] au lieu de s’occuper de repriser des chaussettes et d’écurer des chaudrons».

Une femme de carrière qui acquérait une expertise hors du champ domestique devait légitimer sa contribution à la vie publique en démontrant que celle-ci ne l’empêcherait pas de remplir ses obligations d’épouse et de mère. En 2022, parce que la responsabilité parentale incombe encore majoritairement aux mères, Krystel Mongeau a senti l’obligation de justifier sa persistance dans le concours en répétant que cet accomplissement en ferait une femme épanouie et donc une meilleure mère, un exemple pour sa fille de deux ans. Au lendemain de sa victoire, la une du Journal de Québec, «Une jeune maman couronnée», glorifiait davantage son identité maternelle que son mérite et son nom.

Parallèlement, l’activité professionnelle des femmes devait s’accomplir avec un degré accru d’efficacité et d’excellence. Encore en 2014, une étude américaine fondée sur les parcours de 500 professionnelles en administration révélait qu’à performances équivalentes, les femmes obtiennent moins de reconnaissance que leurs homologues masculins. Elles doivent donc se montrer plus productives pour acquérir une considération similaire.

Les perceptions péjoratives de l’expertise féminine comme réflexe cognitif restent palpables dans l’ensemble des domaines. L’inadéquation entre le soutien du public et la qualité des performances féminines à Star Académie 2022 tend à montrer que, dans l’estime populaire, le travail des candidates demeure sous-évalué.

Se battre contre le discrédit historique

La campagne de sensibilisation #CommeUneFille menée par Always en 2014 illustrait la ténacité d’un préjugé selon lequel l’être social des filles demeure associé au ridicule dans notre imaginaire collectif. Les effets de ce discrédit historique jeté sur le féminin se sont dévoilés sous la plus importante polémique de Star Académie au Québec, autour de l’éviction d’Audrey-Louise Beauséjour.

La campagne #CommeUneFille, menée par Always, visait à briser les stéréotypes associés à l’être social des filles.

Le public a alors été confronté à ses contradictions internes, dénonçant l’élimination d’une candidate jugée exceptionnelle sans pour autant lui accorder l’immunisation première, lui préférant Éloi Cummings. Une pétition réclamant la démission de la directrice a ensuite circulé sur les réseaux sociaux, alléguant qu’«elle n’a pas un bon jugement et [qu’]elle a ses protégés».

Le soupçon de favoritisme de la part de Lara Fabian envers Krystel Mongeau, avec qui elle a collaboré à La Voix, apparaît autant comme une déconsidération du professionnalisme de la directrice que comme une mésestime du talent de la candidate. Tout comme les aptitudes de la future lauréate, la crédibilité de Lara Fabian avait pourtant été exposée au grand public, tant par son impartiale exigence critique que par son acuité pédagogique.

Cet événement rappelle que même lorsque la preuve de leur excellence professionnelle s’établit, la place des femmes au pouvoir ou sur une tribune reste davantage menacée. «Si tu veux préserver ta réputation, être prise au sérieux, tiens-toi tranquille», a-t-on conseillé à l’ancienne députée péquiste Elsie Lefebvre à ses débuts en 2004. Ces propos font écho à ceux que tenait le recteur de l’Université Laval cent ans plus tôt : «les femmes […] doivent être comme des fleurs qui n’exhalent leur parfum que dans l’ombre.»

Bien que la prestance de Lara Fabian suscite l’admiration d’un large pan de son public, sa posture de mentore remue les restes d’une vision traditionnelle du féminin qu’on voulait autrefois discret et modeste. La détermination de la directrice et des candidates de Star Académie placent sous les projecteurs le tabou de l’ambition féminine. La fierté des candidates étoiles paraît-elle prétentieuse, même si celles-ci ont clamé leur gratitude envers leurs fans?

Vidéoclip de la chanson thème officielle de Star Académie 2022.

Une chose est sûre : l’humilité apparaît comme une clé du succès populaire au Québec francophone. S’identifier à l’être modeste dont on glorifie les efforts conforte le rêve américain et apaise les complexes. Or, quand l’imperfection a la cote, les femmes peinent à négocier leur succès dans un monde où l’exigence d’irréprochabilité professionnelle crée pour elles une impasse.

À l’instar d’Hugo Dumas, on peut se demander si «la consécration de Krystel [signale] la fin de cette habitude que nous avons de privilégier les laissés-pour-compte». De cette exceptionnelle victoire féminine émerge aussi l’espoir d’une valorisation plus juste des compétences des hommes et des femmes dans la sphère publique.

Changer le monde

Comment vaincre les doubles standards au cœur d’un événement télévisuel dont le concept est lié à l’affect du public? Il serait avantageux de former le jugement populaire par l’énonciation de critères d’évaluation objectifs : justesse vocale, présence scénique, faculté de communiquer l’émotion, aptitude à la collaboration artistique, etc.

Star Académie pourrait aussi demander à la population de se prononcer sur les mises en danger, mais pas sur les éliminations. La production pourrait également proposer un mode de scrutin partagé entre le verdict populaire et celui des juges, tout en limitant à un le nombre de votes par appareil. Bref, le concours bénéficierait d’une révision de ses fonctionnements structurels pendant sa pause annoncée pour 2023.

Par-delà ces mécanismes, la vitrine que constitue Star Académie favorise les prises de conscience en valorisant de mieux en mieux la diversité des modèles de compétence parmi ses cohortes, son band maison et ses troupes de danse. Écrite pour la première fois par des femmes, la chanson thème de 2022 appelait cette évolution: «ensemble, on pourra changer le monde […] pour que demain nous ressemble».

Claudia Raby, Doctorante en études littéraires, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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