Vivre ensemble

Pas raciste, mais…

CHRONIQUE – Si Amira Elghawaby a commis une faute, ce n’est pas tant d’avoir cosigné une lettre affirmant que l’appui à la loi 21 semblait davantage influencé par un sentiment antimusulman que par la règle de droit, mais d’avoir sous-estimé le degré de susceptibilité des Québécois.

Les Québécois ne sont peut-être pas plus racistes que d’autres, mais au Québec, on aborde encore trop souvent les discussions sur le racisme avec plus d’émotivité que d’écoute. «QUOI?!? Elle dit qu’on est racistes?» «PIRE! Elle dit que les Québécois sont plus racistes que les autres Canadiens!» «SACRILÈGE! Elle veut nous empêcher de nous autogouverner!»

Il est important de replacer les choses dans leur contexte. Amira Elghawaby et son cosignataire Bernie Farber, du Congrès juif canadien, n’ont pas écrit que les Québécois étaient plus islamophobes que les autres Canadiens. Ils parlaient d’un projet de loi qui s’adonnait à être voté au Québec, et citaient un sondage Léger révélant que 88% des Québécois éprouvant des sentiments antimusulmans appuyaient le projet de loi 21. En fait, les deux signataires citaient un article de The Gazette citant ce sondage. Le titre du journal anglophone était: «A new poll shows support for Bill 21 is built on anti-Islam sentiment».

On a reproché à Amira Elghawaby de mal interpréter le sondage en sous-entendant que la majorité des Québécois était animée par un sentiment antimusulman – ce que ne permet pas exactement de conclure le sondage ni le texte en question d’ailleurs. On nous dit que les Québécois appuyaient d’abord et avant tout le projet de loi 21 par attachement au principe de laïcité envers toutes les religions, et pas seulement l’islam. Le sondage Léger produit en mai 2019 démontre tout de même un double standard à l’égard des religions, les sondés étant 60% à avoir une opinion positive du catholicisme – religion pourtant éclaboussée par de nombreux scandales de pédophilie, notamment, rappelons-le – contre 28% pour l’islam. Bien qu’il existe assurément des personnes qui ne fondaient pas leur appui au projet de loi 21 sur un sentiment antimusulman, reconnaissons que cette loi aura eu un impact essentiellement sur des femmes de confession musulmane.

Les prises de position d’Amira Elghawaby étaient peut-être présentées de manière maladroite pour quelqu’un qui aspire à occuper un poste d’officière au gouvernement. Ça prend visiblement plusieurs paires de gants blancs pour parler de racisme. Mais on devra accepter qu’une personne nommée pour lutter contre l’islamophobie ait un regard peut-être plus critique que le vôtre – ou le mien – sur les éléments qui constituent l’islamophobie.

S’il faut régler la question du racisme, ça ne se fera pas nécessairement en cajolant l’égo des Québécois. Ça se peut que ça écorche. Et il est fort probable que l’on ne s’entende pas sur les faits. Au Québec, plusieurs personnes refusent de reconnaître l’existence d’un racisme systémique, bien que ses diverses manifestations (profilage racial, discrimination à l’embauche et au logement, écart de richesses, surreprésentation carcérale) soient largement documentées. Va-t-on demander la démission d’Amira Elghawaby si elle reconnaît l’existence du racisme systémique dans le cadre de son mandat de lutte contre l’islamophobie alors que ça ne fait pas l’affaire des Québécois? Elle devra avoir cette latitude sans que l’on demande sa tête chaque fois.

Les Québécois ne sont pas racistes, mais la classe politique semble déployer davantage d’énergie à dire que les Québécois ne sont pas racistes qu’à véritablement lutter contre le racisme. Alors que son absence gênante a été remarquée lors des commémorations de l’attentat à la mosquée de Québec cette semaine même et que l’on a reproché à Québec de ne pas en faire assez pour lutter contre l’islamophobie, François Legault continue de demander la démission d’Amira Elghawaby. Pascal Bérubé y voit une raison supplémentaire de quitter le Canada, rien de moins.

Pas mal cringe, comme disent les jeunes. Sans compter que ça commence à ressembler à de la cancel culture. Mais ça, on le remarque moins quand ça vise à annuler un livre pour enfant luttant contre les stéréotypes de genre, ou une femme voilée, que lorsque ça provient des vilains wokes.

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