SALT LAKE CITY — Évoquant une hausse de la criminalité et multipliant les statistiques inquiétantes au sujet des meurtres et des fusillades dans le cadre de sa campagne sur la loi et l’ordre, le président Donald Trump laisse entendre que les villes américaines sont submergées par une vague de violence qu’il est le seul à pouvoir endiguer.
Si les meurtres ont augmenté dans plusieurs villes cet été, cela ne représente qu’une petite portion de la criminalité aux États-Unis et la stratégie de M. Trump démontre à quel point il est facile de faire dire aux chiffres ce que l’on veut.
Lors d’une rencontre télévisée avec des électeurs indécis mardi soir, M. Trump a répété que, selon lui, la criminalité était en hausse dans les villes, dans la foulée des manifestations nationales contre la brutalité policière. Il a essayé d’associer violence et manifestations, et il tente de profiter de la situation pour rallier à sa cause, par la peur, les banlieusards blancs.
«Regardez New York, a lancé M. Trump. La ville était sécuritaire, et soudainement vous avez un maire qui coupe dans la police et la criminalité grimpe de 100 %, de 150 %. J’ai vu une forme de criminalité en hausse de 300 %.»
M. Trump faisait possiblement référence aux fusillades, qui sont en hausse de 86 % cette année à New York. La criminalité en général est toutefois en déclin d’environ 2 % et la ville compte toujours quelque 34 000 policiers en uniforme, un chiffre stable depuis quelques années. Les meurtres sont en hausse de 35 %, mais les 305 meurtres recensés à date cette année demeurent faibles par rapport aux années récentes.
On constate aussi une hausse de la violence dans d’autres grandes villes, mais elle n’est essentiellement pas associée aux manifestations et elle ne se déplace pas non plus vers des quartiers où la criminalité est faible, a dit Rick Rosenfeld, un criminologue de l’Université du Missouri.
De plus, la violence est souvent en hausse l’été, avant de reculer pendant les mois plus froids.
«Il n’y a pas de problème à souligner et à s’inquiéter de la hausse de la violence, mais en ce moment rien ne prouve que les manifestations soient à l’origine de cette hausse», a dit M. Rosenfeld.
Règle générale, le taux de criminalité chute aux États-Unis depuis des décennies. On ne sait pas si la recrudescence récente est une tendance inquiétante ou simplement un triste symptôme d’une période sans précédent.
Un rapport préliminaire de la police fédérale américaine (FBI) indiquait récemment que même si le nombre de meurtres était en progression depuis six mois, le déclin du nombre de viols et de cambriolages signifiait que la criminalité générale était en recul, surtout dans les petites villes.
Malgré cela, la nervosité généralisée à travers le pays pourra générer un sentiment d’insécurité auprès de la population, même si les données démontrent que le danger n’est pas plus grand qu’avant.
«Nos vies sont devenues très imprévisibles, et je pense que ça fait augmenter la peur, a dit la chercheuse Meghan Holllins, du groupe indépendant Ronin Institute, qui a étudié à quel point les gens se sentent menacés par la criminalité. Malheureusement, on profite de cet environnement de peur généralisée pour discuter de risques qui existent ou n’existent pas.»
Elle met en garde contre toute conclusion concernant la criminalité cette année.
«C’est très difficile en ce moment de faire des comparaisons à travers le pays, de comparer les tendances au fil du temps. Il faut être prudent en ce moment, parce que ce ne sera peut-être pas précis», a-t-elle dit.
Les plus récentes données du recensement américain sont vieilles de presque dix ans. Il est donc difficile de dire si la criminalité augmente en fréquence, ou simplement parce que plus de gens habitent certaines villes.
Brosser un portrait généralisé de la criminalité à travers les États-Unis est aussi compliqué parce que le pays compte quelque 18 000 corps policiers et que les données ne sont pas centralisées, a dit le professeur de criminologie Alex Piquero, de l’Université de Miami.
Certains départements compilent des données hebdomadaires, ou trimestrielles, ou annuelles. Certains partagent leurs chiffres avec le FBI, d’autres pas.
«Il n’y a pas de pratique normalisée de compilation des chiffres», a-t-il dit.
Les policiers sont aussi aux prises avec le coronavirus. Plusieurs ont été infectés et des centaines en sont morts. D’autres ont été placés en quarantaine, laissant moins de patrouilleurs dans les rues, a rappelé M. Rosenfeld.
Son analyse a trouvé 27 villes où les homicides et les voies de fait graves ont augmenté d’environ 35 % entre la fin mai et la fin juin. La majorité de ces crimes se sont produits dans des quartiers frappés de plein fouet par la pandémie et où la violence était présente de longue date, a-t-il dit.
La violence dans des villes comme Chicago s’est stabilisée vers la fin de l’été, a-t-il ajouté. Les autorités étatiques et fédérales sont intervenues pour rétablir l’ordre.
La hausse qu’il a mesurée coïncide avec les manifestations qui ont éclaté après la mort de George Floyd, mais ses recherches démontrent que les crimes ont été commis loin des protestations. On a noté une hausse des cambriolages commerciaux à la fin mai, tout juste comme les manifestations commençaient, mais cela n’a duré qu’une semaine.
M. Rosenfeld croit plutôt que les incidents de violence policière et l’attention qu’ils reçoivent accentuent possiblement la dégradation de la confiance entre les policiers et les citoyens qu’ils servent.
«La confiance envers la police est touchée, a-t-il dit. Si ça tombe suffisamment bas, un vide apparaît entre la communauté et la police (…) et la justice populaire remplit cet espace.»
Lindsay Whitehurst, The Associated Press