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Le temps des fraises

Il est 16 h. Autobus 160, direction ouest. C’est le genre de journée glacée où le froid vous prend en otage. C’est du moins ce qui m’arrive. J’ai la gorge en feu et des frissons galopants. Je prends un banc libre et ferme les yeux quelques secondes. Une odeur de fruits artificiels m’extirpe de cette tentative de relaxation.

À mes côtés est assise, droite et fière, une dame très coquette. Elle porte sur son manteau de laine vert émeraude une broche qui représente un papillon posé sur une branche de cerisier. Ses cheveux sont aussi gris que bien placés. Elle n’a plus 70 ans. Pas encore 80. Elle nage vers l’autre rive sans être pressée de l’atteindre.

Elle plonge dans son sac à main pour y prendre un bonbon qu’elle enfouit avec empressement dans sa bouche. C’est de là que vient le parfum. Ça sent la fraise. Très fort. Une odeur sucrée qui rappelle celle du Jell-O et du shortcake. Cette dame perdue dans les vapeurs de son bonbon regarde droit devant elle avec un sourire vague et le regard suspendu.

Elle joue à la marelle dans la ruelle. Elle porte des tresses et a un bobo au genou droit. Son bonbon aussitôt terminé, elle en prend un autre. Le laisse fondre pour reculer encore. Elle est au bord de la mer avec son petit frère qui vient de se mettre une poignée de sable dans la bouche. Puis c’est la première communion. Sa mère lui dit comme elle est jolie. Arrivent des livres de contes, des princesses, des pirates, des piques-niques.

Puis, soudain, le sourire s’éteint. La guerre peut-être? Ou autre chose encore qui fait que tout à coup l’enfance n’a plus du tout le goût des fraises. Ma gorge fait toujours mal. Parce qu’elle est serrée.

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