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Coquetterie routière

Lundi, ligne 535, direction sud. Il est 7 h 30. L’autobus est si plein qu’il a du mal à respirer. Il y a de la buée dans les fenêtres comme dans les yeux des passagers. Je m’agrippe solidement au poteau, car la route est un défi. Avec le printemps viennent éventuellement le retour des bernaches, les fleurs et les bourgeons. Mais en amont, il y a l’éclosion des nids-de-poule.

Une femme, la fin trentaine, doit elle aussi négocier avec la route cahoteuse. Elle est assise et a entrepris l’opération délicate de se maquiller. Coincée entre un monsieur dodu qui lit son journal bien déployé et une dame aux mille sacs, la femme décide de mettre un peu d’éclat sur son visage pâle. Elle applique à l’aveugle du fond de teint et du cache-cernes sous ses yeux que la fatigue a violacés. Elle regarde devant elle comme si un miroir virtuel lui renvoyait son image. Elle est habile. On sent qu’elle a fait ces gestes des centaines de fois.

Elle s’assaisonne de poudre libre, fait fondre un peu de fard rose sur ses pommettes. Applique ensuite une ombre à paupières et sort son mascara. Appliquer ce dernier à bord d’un véhicule qui roule à Montréal représente un danger comparable à celui de se limer les ongles avec une chainsaw.

Un feu rouge. Elle en profite. Son maquillage est impeccable. Elle admire dans la glace de son poudrier son teint maintenant lisse et sans faille. Arrive son arrêt. Alors qu’elle amorce sa descente, je réalise qu’elle a oublié dans ses cheveux, à l’arrière de sa tête, un rouleau. Je n’ai pas le temps de lui faire signe. Je fais disparaître un peu de condensation sur la vitre et la vois s’éloigner, le pas fier, le port altier et le bigoudi joyeux bien accroché.

Je souris parce que, contrairement à nos rues, ce sont les failles des humains qui les rendent beaux. Pour ne pas dire craquants.

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