Couloir de la station Berri-UQAM, vers la rue Saint-Denis et le boulevard de Maisonneuve. Il est 16 h 30. Les notes de guitare résonnent. Elles rebondissent sur les parois du long couloir. L’écho de l’air de flamenco qu’exécute un musicien nous parvient de loin. En fait, c’est si fort que je crois qu’on peut l’entendre jusqu’en Espagne.
En m’approchant du musicien, je réalise que l’auteur de cet air intense est un magnifique et fier monsieur. La tête haute, l’air digne. Il porte une chemise blanche et un pantalon aussi noir que ses cheveux. Il a du panache. On sent que c’est un très bon guitariste. Seulement, son instrument semble lui donner du mal.
La partition qu’il doit exécuter demande du doigté et de la dextérité. Le flamenco exige de ceux qui l’interprètent une intensité et une maîtrise du rythme non négociables. Notre guitariste possède ces qualités. Maintenant, sa collaboratrice un peu déglinguée ne veut pas suivre. Elle a été malmenée par la vie, affichant une cicatrice couverte d’un morceau de tape électrique sur son flanc droit, des cordes qui cassent et frisent.
Elle ne s’accorde pas avec l’interprète qui, de toute évidence, considère que sa partenaire de jeu n’est pas à la hauteur. On dirait deux danseurs qui se pilent sur les pieds. Ou encore un noble chevalier qui a pour monture un vieil âne fatigué.
Je m’arrête à quelques pas de distance pour observer cette valse à la fois comique et émouvante. Quelques mesures prennent magnifiquement leur envol. Puis, c’est la dégringolade. On jurerait que le musicien pourrait se mettre à sacrer de rage. Mais plutôt que de blasphémer, il crie : «OLÉ!» Puis recommence de plus belle en battant le rythme très fort sur le flanc de l’instrument. «AYOYE!» semble crier l’abîmée guitare. «OLÉ!» répète avec fureur l’artiste à la main endolorie.
Ainsi persiste cet air de flamenco, envers et contre tout. Il y a là quelque chose de franchement beau. Et le fait de créer dans la douleur devient, ici, on ne peut plus concret.