Jeudi, 16 h 45, sur la ligne orange, station Berri-UQAM en direction Montmorency. Je croise sur le quai une ex-collègue. Le ventre arrondi et le visage lumineux, elle m’apprend tout en joie qu’elle aura un petit garçon. Son premier. Pas son premier petit gars, mais bien son premier enfant!
Quand le métro arrive, elle prend place de plein droit sur un siège réservé aux personnes blessées,
handicapées ou enceintes. Je m’assois à proximité et nous poursuivons la conversation. Une femme, rapidement, nous interrompt. Une gitane traverse le métro à pas rapides, passant d’une voiture à l’autre. Elle sollicite les passagers. Se penche vers ceux qui sont assis, s’élève sur la pointe des pieds pour rejoindre le regard de ceux qui, plus grands qu’elle, sont demeurés debout.
La gipsy nous scrute à tour de rôle avec ses yeux de jais et ses cheveux tout aussi noirs, tressés et noués en chignon sur sa nuque. Elle porte un châle rose vif sur sa robe sombre. Le tintement des nombreux bracelets qui s’accumulent sur ses poignets ponctue sa ronde.
Elle quémande haut et fort, de manière que tous et toutes l’entendent. «Mademoiselle, monsieur, madame, s’il vous plaît, aide-moi! s’exclame-t-elle. Moi avoir petite fille qui a faim. Moi pas avoir d’argent pour acheter nourriture.» Elle roule puissamment ses «r», comme le font souvent les Européens de l’Est.
Certains s’activent, fouillent leurs poches, alors que d’autres, intimidés, détournent nerveusement le regard. J’observe avec fascination sa manière d’aborder les gens. Elle est frontale, directe. Sa quête ne lui dicte pas un comportement de victime. Elle nous met simplement et brutalement face à sa réalité.
La gitane descend de notre voiture pour gagner la suivante. On peut la voir, à travers les fenêtres, s’adresser à de nouveaux passagers qui réagissent comme ils le peuvent à ce bruyant appel à l’aide.
À côté de moi, l’ex-collègue baisse le regard vers son ventre sur lequel elle pose des mains protectrices. Par ce geste aussi tendre qu’assuré, on dirait qu’elle vient de mettre un garde-fou entre elle et le reste du monde.