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Bulles

Station Beaubien, direction Côte-Vertu, 14 h 20. Nous sommes une vingtaine d’usagers dispersés sur le quai. Même chose de l’autre côté. Des étudiants, des pigistes, des femmes et des hommes aux cheveux gris et à l’âge d’or.

De mon côté se trouve une fillette.  Elle a six ou sept ans et, comme en témoigne son sourire troué, a perdu deux dents. Son père est tout près. Il regarde le tunnel pour voir si le métro arrive. La petite sort de sa poche une fiole de plastique cylindrique. Elle en dévisse le bouchon, auquel est rattachée une tige de plastique.

Elle souffle sur ladite tige; des bulles de savon s’échappent, s’élèvent, éclatent. La petite reprend son geste à la chaîne; rapidement, plusieurs bulles flottent dans la station.  Elles traversent même la rame, poussées par un courant d’air.

Parfois, les bulles se posent sur le sol ou restent suspendues au-dessus de la tête des individus qui sont là, pensifs, à attendre.  Eux-mêmes dans leur bulle. Autant d’univers parallèles qui sont là, côte à côte, sans savoir ce qui occupe l’esprit de l’autre. Ils sont occupés à répéter des notes de cours, à se demander ce qu’ils mangeront pour souper, à se dire qu’ils sont en retard, à s’inquiéter de ne pas avoir éteint le rond du poêle ou le fer à repasser avant de quitter. À se rappeler qu’ils doivent acheter de la pâte à dents, à se dire qu’ils ont oublié de téléphoner à leurs parents ou qu’ils paieraient cher pour déloger la chanson indésirable qu’ils ont dans la tête depuis ce matin. À se demander, aussi, pourquoi le temps passe si vite.

La petite souffle encore. Une autre constellation de savon s’envole au-dessus des méditations. Puis, notre métro arrive. La petite fille s’assoit. Elle referme sa fiole, la glisse dans sa poche. À son tour, elle flotte dans ses pensées.

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