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Le comptable

Mardi, 17 h 15. Ligne d’autobus 80, direction nord. Plus plein que ça, on explose! L’autobus bondé fait penser à un costume de mascotte qui serait trop petit pour celui qui le porte. Nous, usagers, sommes habitués à l’intense cohabitation qu’impose l’heure de pointe sur cette ligne.

Les plus à l’aise d’entre nous arrivent même à vivre à ciel ouvert. Comme si de rien n’était. Même si les coudes et les genoux s’entrechoquent, même s’il fait très chaud, que l’air manque un peu et que de la condensation se forme sur les fenêtres.

Mon voisin, lui, en tout cas, ne s’en formalise absolument pas. Lui et moi partageons une banquette avec deux autres passagers et sommes face à un rideau humain opaque suspendu devant nous dans l’allée. Mais rien de tout ça ne l’a empêché de poser son attaché-case sur ses cuisses. Mallette de laquelle il sort des dizaines de reçus et de documents. 

Il additionne ces derniers à l’aide d’une grosse calculatrice qui fonctionne à l’énergie solaire. Elle en arrache un peu, la calculette, à cause des fenêtres embuées et du soleil déjà couché. Mais les néons blafards lui donnent juste assez d’énergie pour qu’elle compile les données du comptable concentré. Il inscrit des montants dans un carnet, trace des colonnes de chiffres. On jurerait qu’il est assis derrière son bureau et que sa secrétaire va entrer d’une minute à l’autre pour lui apporter d’autres dossiers urgents et peut-être un café.

Je l’imagine durant la période des impôts, monopolisant une quadruple banquette au complet avec, à ses côtés, des piles vacillantes de papiers. Ainsi, il remplirait les déclarations des usagers, qui feraient la file pour profiter de ses services. Le comptable passerait des jours complets, dans l’autobus, à compter en roulant.

Le chauffeur freine un peu brusquement, ce qui provoque la chute d’une foule de reçus sur le sol. Le tapis caoutchouté est mouillé. Le comptable ne peut bouger, coincé entre nous, ses voisins, et entre les jambes des passagers debout qui tentent de se pencher pour l’aider. Des têtes se cognent, et quelques jurons s’échappent du département de la comptabilité. Une fois la paperasse détrempée remise à son propriétaire, l’homme remercie, range le tout et ferme «son bureau» bruyamment. Il pousse un gros soupir de contrariété.

Finalement, même si rien n’est fixe dans la vie (surtout pas les taux d’intérêt), l’idée de ce comptable mobile est peut-être à réévaluer.  

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