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Se rendre en Chine en métro

New York, ligne M 1, direction Brooklyn. Vendredi, 11 h 30.

Le ciel est bleu acier, l’air est doux et nous… nous sommes confus. Tous trois plantés devant une bouche de métro où sont affichés des noms et des numéros de lignes que nous ne reconnaissons pas.

Ceux qui ont déjà utilisé le métro new-yorkais savent qu’il n’est pas conçu comme le nôtre, dont le système est tentaculaire. Là-bas, il est structuré en un réseau de voies sinueuses qui ne sont pas toutes reliées les unes aux autres. Ce qui donne un joli total de 26 lignes et 422 stations. M’y retrouver constitue pour moi et mon sens de l’orientation légendaire un défi aussi grand que celui d’escalader le mont Fuji à reculos et sans sherpa. Et comme je confonds depuis toujours le sud avec l’ouest et le ciel avec la terre, j’ai été entraînée à ne jamais hésiter à demander mon chemin. Il faut assumer. On ne peut pas être à la fois égarée et orgueilleuse!

Ainsi, nous aborderons un bel homme afro-américain dans la soixantaine, qui travaille dans la station où nous sommes descendus. Mathilde et Philippe, déterminés, essaient toujours de concevoir comment démêler le spaghetti sur le plan. De mon côté, je me dirige d’un pas alerte vers l’employé et lui explique que nous sommes Montréalais ascendants perdus. Mes amis les amoureux se sont approchés. L’homme nous montre sur le plan, le plus clairement et le plus gentiment du monde, comment nous rendre à destination.

Puis, il nous demande abruptement si nous connaissons la Chine. D’abord étonnés, nous comprenons rapidement qu’adolescent, il avait échangé des lettres avec une demoiselle francophone qui habitait Lachine et qu’il avait été totalement séduit pas sa correspondante. «Her name was Caroline», dit-il, les yeux suspendus à ce moment lointain.

Il s’était rendu à Montréal, un été dans les années 1960. Ils avaient passé ensemble des moments, de toute évidence, inoubliables. Mathilde lui demande s’il n’a jamais cherché à la revoir. L’homme se tortille dans sa timidité. Il y a pensé. Souvent. Il n’a pas osé. Jamais.

Il nous sourit. Dans ce sourire à la fois lumineux et mélancolique, nous avons tous les trois senti que, ce soir, demain peut-être, il tenterait de la retrouver. Et devant ce sentiment qui a survécu aussi longtemps, se rendre en Chine, même en métro, semble soudainement possible. 

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