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Un homme tombé dans la forêt

«Ne crois pas, mon petit, que les hommes ne pleurent pas.» Vous souvenez-vous de cette chanson de Dan Bigras? Un homme mature qui crie à de jeunes hommes qu’un homme peut avoir mal, pleurer, souffrir; qui dit de ne pas croire qu’il est une grosse roche insensible, et que s’il veut jouer du piano penché, bien qu’il le fasse!

Cette chanson m’a toujours touché. Un, parce que je suis un homme; deux, parce que j’ai été une grosse roche; et trois, parce que j’aime quand des hommes se conseillent sur autre chose que de la moto, un transfert de poids pour un bon slap shot et des techniques de cruise du genre: «Cruise la plus laide de la gang, tu vas rendre la plus cute jalouse.»

Bref, un homme, ça pleure aussi. Sur le modèle de la question «Est-ce qu’un arbre qui tombe dans la forêt fait du bruit s’il n’y a personne pour l’entendre?», on pourrait demander: «Est-ce qu’un homme qui tombe dans la forêt souffre s’il n’y a personne pour le voir?»

Une expérience réalisée récemment sur le web mettait en scène un faux couple joué par des comédiens. Au début, ils ont tourné plusieurs moments où le gars criait, poussait, frappait sa «conjointe». En 10 secondes, tout le monde autour était sous le choc, et il y avait quelqu’un pour intervenir, défendre la fille, faire la morale au gars. Ensuite, ils ont fait l’inverse. La fille qui crie, pousse, frappe le gars. Les réactions autour? Non seulement personne ne venait arrêter ni faire la morale à la fille, mais les gens étaient crampés. Tout sourire. «Haha checke l’autre cave! Elle le manque pas.» Tous. Gars, filles. Ça m’a «splité» en deux. Pas parce que je suis un gars et qu’un gars se fait abuser. Parce que c’est un humain, puis l’abus, psychologique et physique, c’est dévastateur. Point. Tous sexes confondus.

«J’aurais dû me défendre.» C’est un des regrets qui tournent en rond dans la tête d’une victime. Pour un homme victime d’abus, à la fin de cette phrase poison s’ajoute : «J’aurais dû me défendre, je suis un homme.» Cette phrase passe aussi dans la tête de ces gens qui rient au lieu de défendre le gars abusé publiquement. Je sais pas quand le pénis a rendu tous les hommes blindés aux manipulations affectives, leur a donné une estime anti-missiles, un bouclier anti-soumission. Ça reste quand même ben juste un bout de peau avec des veines.

«Pfff! La société hommes power trip patriarcal fait assez souffrir les femmes! Avant qu’on s’occupe des bobos des hommes…!» De la discrimination pure, malsaine. En quoi Patrick, né en 1987 à Matane, qui se fait agresser psychologiquement et physiquement par sa blonde, a un rapport avec Donald Trump? Il a autant à voir avec Donald que Mohamed de l’épicerie sur Jean-Talon a à voir avec les tueurs de Charlie Hebdo.

On pourrait se lancer dans une guerre de comparaisons de supplice hommes-femmes dans le monde. C’est pas le but. Je veux pas comparer, je veux juste pointer, souligner ce qui se passe ici, dans notre village, sur lequel on a le plus de contrôle, de pouvoir de changer. Et de toute façon, le combat n’est pas hommes contre femmes, mais abuseurs contre abusés. La journée qu’on va avoir ça dans la tête, la forêt en sera que plus belle.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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