Ça s’est passé la semaine dernière, dans la chapelle de l’ancienne Maison Providence, rue Fullum. Ils étaient rassemblés pour parler du grave péril causé par le fondamentalisme.
Non, ce n’était pas une réunion de théologiens. C’était une rencontre d’économistes. Ils discutaient de l’enseignement de l’économie à l’université. Des dangers qu’elle pose pour la société.
Une douzaine de conférenciers se sont succédé au micro devant un parterre d’une centaine de participants. Ils ont expliqué leur détresse face à l’intégrisme qui règne dans leurs départements. «On nous empêche de poser des questions. On n’a pas de liberté de parole. J’ai quitté le département parce que c’était insupportable.»
Quelle est cette religion totalitaire qui écrase la voix des dissidents qui osent la contester? Il s’agit de la théorie économique néoclassique – un grand mot qui désigne le courant de pensée qui domine la discipline de la science économique depuis les années 1970.
Ces économistes néoclassiques parlent de LA théorie économique, comme on parle de LA physique ou de LA biologie. Comme si toute la science économique se réduisait au courant néoclassique. Ce qui est totalement faux. Il y a une multitude d’écoles de pensée et de manières d’aborder l’économie. Mais cette diversité d’approches est interdite dans les départements d’économie et les cercles du pouvoir.
Le plus grand défaut de la théorie néoclassique est précisément le suivant : c’est une théorie fondée sur une multitude de présupposés au sujet du comportement des humains et des institutions, des présupposés qui ne reflètent pas la réalité économique d’aujourd’hui. Il y a une époque où il était interdit de croire que le soleil était au centre du système solaire. Peu importe ce que l’observation de la réalité démontrait.
Je vous parle de ce débat d’économistes parce qu’il nous concerne. C’est que la science économique n’est pas seulement le sujet d’étude de quelques experts dans des départements. La théorie néoclassique influence notre vie dans les moindres détails.
Tout comme à l’époque où le clergé dominait la société, ces nouveaux curés ont l’oreille attentive de nos dirigeants, avec qui ils nous concoctent des politiques économiques, fiscales et sociales. Leurs prescriptions nous sont présentées comme étant les seules valables, légitimes ou justes. L’austérité, elle vient de là.
Et à force de les entendre sur toutes les tribunes, les citoyens, comme vous et moi, ont fini par croire que leur point de vue n’en était pas un. On a intériorisé leurs dogmes qu’on prend pour du gros bon sens.
Quand un système d’idées croit à sa propre perfection, cela peut être dangereux. La Grande Crise de 2007 a d’ailleurs révélé les failles importantes de ce modèle dominant d’analyse et d’action économiques. Un rapport publié l’an dernier par l’OCDE affirmait : «La pensée de groupe a parfois empêché la prise en compte de vues diverses et divergentes.» Cette auto-critique est bienvenue.
Lorsqu’un seul modèle s’impose, on perd sa capacité à voir les multiples facettes d’un problème. Et on finit par croire à des solutions uniques. Même à celles qui nous appauvrissent.