J’aime voter, car j’ai l’impression de participer à un vaste exercice collectif, comme un rituel laïc à grande échelle. Mais cette sensation d’exercer un petit pouvoir citoyen diminue avec le temps, à chaque élection.
C’est que le vote populaire ne porte pas nécessairement au pouvoir le parti qui a remporté la majorité des voix. C’est une des bizarreries d’un système électoral conçu pour favoriser la création de majorités parlementaires fortes. Ce «mal nécessaire» n’est cependant plus justifié, car il ne produit plus l’effet désiré : de plus en plus souvent, les élections portent des gouvernements minoritaires au pouvoir. La réforme du mode de scrutin semble être une avenue incontournable pour redonner aux électeurs le pouvoir qui leur est théoriquement conféré par le vote.
Je vous entends râler : mais ils sont tous pareils de toute façon, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Vous n’avez pas tort. Leurs plateformes électorales ont beau être très différentes sur une grande variété de sujets, une fois élus, les partis sont rapidement soumis aux pressions de la multitude de lobbys qui s’abattront sur eux. Souvent, ce sont les plus puissants, ceux qui ont le plus d’argent à leur disposition, qui remportent la mise.
Le système de pouvoir dans notre société est à cet égard assez hypocrite : il ne confère pas au peuple la maîtrise de son destin qu’il prétend lui donner par les mécanismes de la démocratie représentative. Des forces bien plus puissantes que celle de la vox populi infléchissent souvent le cours des choses.
À quoi bon voter alors? Pour quelques raisons, aussi imparfaites soient-elles. D’abord parce que, parmi les individus qui se présentent en politique, il y en a qui le font réellement pour se mettre au service de la société. Je vote également parce que je ne crois pas qu’en se mettant à l’écart d’un système mal fait, on peut espérer le transformer.
En ce jour d’élection, ce qu’on devrait tous se souhaiter, c’est un gouvernement qui ne soit pas sourd, muet et aveugle à tout ce qui l’entoure. Un gouvernement qui ne soit pas un gros bébé lala qui se moque complètement de ce que pense le peuple, comme un enfant qui se bouche les oreilles, se ferme les yeux et crie sa comptine préférée pour ne pas entendre ce qu’on essaie de lui dire. La manière de gouverner dépendra en bonne partie de la personnalité du chef gagnant, puisque notre système parlementaire donne tous les pouvoirs au premier ministre. Sa façon d’exercer le pouvoir sera déterminante pour les affaires publiques.
Mais une chose est certaine: les gouvernements honnêtes, de bonne foi, ne peuvent plus gouverner seuls. Les questions auxquelles ils doivent s’attaquer sont si complexes qu’elles ne peuvent être résolues par les seuls experts de la fonction publique ou conseillers du gouvernement. Ils doivent faire appel à l’intelligence de la société, qui possède une expertise indispensable. Pensez à l’agriculture, aux changements climatiques, à la santé, à la sécurité. Ces dossiers exigent, pour être gérés habilement, une grande diversité d’intelligences et de contributions. Dans ce contexte, le prochain gouvernement aurait tout intérêt à faire usage de l’écoute active des forces sociales, pas juste des intérêts privés. Ça prend une dose d’humilité qui, hélas, ne figure pas parmi les qualités qui permettent de remporter une élection.