Petite devinette de début d’année : quel est l’événement majeur à suivre tout au long de 2016? La Syrie ou les prix du pétrole en chute libre? Le sanglant conflit au pays de Bachar el-Assad a certes fait plus de 250 000 morts, mais il ne pèse guère face à l’effondrement des cours de l’or noir, qui touche toute la planète.
La reine des matières premières a perdu 60 % de sa valeur depuis juin 2014. Le baril (159 litres) vaut aujourd’hui moins de 40 $US et risque encore de s’effondrer cette année.
Lorsque le pétrole plonge, l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial, baisse sa production pour faire remonter les prix. Normal. Pas cette fois, cependant. Et pourquoi? Les raisons sont surtout géopolitiques.
Le royaume le plus riche de la planète cherche à couler financièrement l’Iran, son ennemi chiite de toujours avec qui il n’a d’ailleurs plus de relations diplomatiques depuis dimanche, et à faire mal à la Russie qui soutient à bout de bras le régime syrien que Riyad veut voir tomber.
La Russie protège Assad pour des raisons politiques et l’Iran le protège pour des raisons religieuses : le dictateur syrien est un alaouite, une branche du chiisme.
Dans tous les cas, pour les Saoudiens, le pays des ayatollahs, avec ses 80 millions d’«hérétiques», est l’ennemi absolu de l’islam. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’ils avaient subventionné le sunnite Saddam Hussein pendant la guerre irano-irakienne de 1980-1988, qui a fait près d’un million de morts.
En laissant tomber ses prix du pétrole, l’Arabie saoudite s’attaque également à la Russie et cherche à prendre ses parts de marché en Europe de l’Est. Pour la première fois l’année dernière, la Pologne a reçu du pétrole saoudien.
Contrairement aux Iraniens et aux Russes, les Saoudiens peuvent exploiter du pétrole de manière rentable à moins de 50 $ le baril. Cette guerre d’usure contre Téhéran et Moscou est soutenue par Washington, l’allié indéfectible de la monarchie absolue.
Oui, mais en voulant mettre à genoux ses deux ennemis, le premier exportateur d’or noir (13 % de la production mondiale) se tire dans le pied. Son bas de laine de plus de 700 G$ fond comme neige au soleil. Dans moins de cinq ans ses réserves financières seront à sec.
Au rythme actuel de ses dépenses destinées assurer la stabilité sociale à ses 29 millions de sujets, l’État-providence saoudien ne sera bientôt plus qu’un mirage.
Pour l’heure, le roi Salmane croit qu’«avec l’aide d’Allah» son royaume surmontera ses ennuis financiers, qui se répercutent sur les automobilistes : ils ont vu le 28 décembre le prix du sans plomb augmenter de 50 %, pour se chiffrer à un peu plus de 20 cents le litre.
L’Arabie saoudite ne remportera pas son bras de fer contre la Russie et l’Iran, d’autant que ce dernier pays réintègre cette année le marché mondial de l’or noir grâce à son accord sur le nucléaire de juillet dernier.
Selon la Banque mondiale, ce retour du pétrole iranien pourrait faire chuter le prix du baril à une trentaine de dollars au cours des prochains mois.
«Tel est pris qui croyait prendre», dirait Jean de La Fontaine à la pétromonarchie saoudienne.