La corruption municipale touche de nombreuses villes. Afin d’informer les gens sur les histoires louches et les scandales qui ont affecté Chicago, le journaliste indépendant Paul Dailing offre au public la possibilité de visualiser les lieux de sa ville marqué par la corruption avec des visites guidés à pied. Une façon sympa et sérieuse d’aborder un sujet qui peut être aride.
Pourquoi aborder la corruption par un visite guidé à pied? Paul Dailing m’a confié, dans un échange de courriels, que cela «aide les gens à visualiser certains enjeux de plus grande envergure».
«Aux États-Unis, seulement quelques États ont des comités indépendants pour créer les districts électoraux. Nous avons un gros problème de gerrymandering [le fait de changer les contours des districts pour favoriser un parti ou un groupe]. Les gouvernements locaux décident eux-mêmes des limites de leurs districts. C’est complètement fou! Les cartes électorales sont conçues pour aller chercher les votants les plus susceptibles d’être pour la réélection du pouvoir en place, pour diviser ceux qui ne leur sont pas favorables et pour mettre hors de leurs propres districts les opposants potentiels. Avant la course municipale de 2012, 69 personnes qui voulaient se présenter ont découvert qu’ils ne vivaient plus dans leur propre district. C’est un problème difficile à visualiser en lisant un article, par exemple. Mais quand j’amène les gens à un coin de rue où quatre circonscriptions se croisent, c’est plus facile de saisir le concept», expose le journaliste.
«Je peux parler sans fin du fait qu’un mécanisme de financement, appelé Tax Increment Financing [un outil destiné à aider les compagnies locales à prendre de l’expansion et à créer de l’emploi pour les citoyens, où les fonds sont utilisés pour construire et réparer les routes et les infrastructures, pour décontaminer et pour remettre en état des propriétés vacantes] est mal utilisé, poursuit-il. Mais quand les gens voient le luxueux magasin Bloomingdale’s dans une des parties les plus huppées de la ville, et que je leur apprend qu’on y a utilisé ce programme, destiné aux endroits les plus pauvres et mal en point de la ville, ils commencent à comprendre que les politiciens en abusent», explique le guide.
Dailing a été reporter dans des journaux avant d’être pigiste. Il a couvert pendant ses années comme salarié des histoires de politiciens utilisant le système à leur avantage ou contournant la loi. Mais ce faisant, il était «paralysé par les conventions journalistiques», m’a-t-il glissé. Il devait «écrire dans un style ennuyant, sec, que personne ne comprend ou qui n’intéresse personne», alors que maintenant, les visites lui permettent d’aborder ces sujets comme il le veut.
Un des endroits où Paul Dailing amène les visiteurs est l’ancienne Mirage Tavern, un bar qui était dirigé par le journal Sun-Times et le Better Government Association dans les années 1970, où les journalistes se faisaient passer pour des barmans et des serveuses. «Des tonnes de caméras cachées ont montré des inspecteurs du bâtiment leur offrant des pots-de-vin», expose M. Dailing. Il les amène aussi à l’ancien Workingman’s Exchange, un bar dont le propriétaire, au début des années 1900, était un conseiller municipal qui échangeait des votes contre des bières gratuites. «Il était aussi dans la course au vice district, donc chaque bordel, bar ou endroit de jeu avait à le payer pour obtenir une “protection”», raconte M. Dailing.
«Je leur montre aussi une des bornes de stationnement dont le paiement se fait par carte de crédit, pour parler du fait que le maire, en 2008, a vendu le contrat à un groupe qui a fait quadrupler le coût du stationnement». Il les amène à l’Hôtel de ville, au bâtiment State of Illinois et à un centre commercial, qui se trouve au-dessus d’une station de train souterraine. «Ce trou géant a coûté aux contribuables 218 M$US et [la station] n’ouvrira jamais. Ils ont juste abandonné le projet et barré la porte. C’est une visite amusante», dit-il.
Paul Dailing a commencé à donner ses visites guidées le 1er mai. Toutes les places pour les dates offertes jusqu’en août sont déjà vendues. Il prévoit toutefois en proposer d’autres à l’automne (ici pour suivre les dates). Il souligne en terminant que d’autres villes offrent des visites similaires, à Prague et à Londres, par exemple. «Bien que nous soyons très bons là-dedans, la corruption n’est pas seulement un phénomène américain ou spécifique à Chicago.»
Les promenades de Jane, dès vendredi
Si l’envie de faire un visite guidée à pied d’un quartier vous titille – bien que je n’en ai pas trouvée sur la corruption à Montréal –, les annuelles Promenades de Jane ont lieu cette fin de semaine (de vendredi à dimanche). Ces visites, qui font partie d’un mouvement mondial et qui sont donnés en hommage à l’activiste Jane Jacobs par des citoyens de nombreuses villes, abordent l’histoire et l’avenir des quartiers. La programmation montréalaise est ici.