Un groupe de 29 pays africains se sont dits «abasourdis» cette semaine par l’opposition récemment manifestée par l’Union européenne d’interdire purement, simplement et mondialement le commerce de l’ivoire.
Bruxelles préconise plutôt l’ouverture d’un marché légal ouvert pour les rares pays où la population d’éléphants est en croissance – soit l’Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie et le Zimbabwe. L’argument souvent prononcé pour défendre une telle position est que les profits engendrés par la vente d’ivoire peuvent servir, en bout de ligne, à promouvoir la conservation des pachydermes.
Or, la mise en place d’un marché semblable en 2008, largement instauré pour satisfaire les appétits chinois et japonais en matière d’ivoire, s’était révélée «catastrophique» pour les éléphants, selon une étude parue en juin dernier réalisée conjointement par des chercheurs des universités Berkeley et Princeton, aux États-Unis.
La vente de l’époque déjouait l’interdiction imposée au commerce de l’ivoire en 1989 dans la poursuite d’un objectif louable: celui de freiner la vague de braconnage qui mettait déjà à mal à l’époque les populations d’éléphants. La stratégie était la suivante: inonder le marché d’ivoire recueilli sur des éléphants morts naturellement, pour faire baisser les prix et décourager les braconniers.
Or, le contraire s’est produit, selon l’étude, qui mentionne que la vente fut à l’origine d’un essor «abrupte, significatif, permanent, robuste et géographiquement très étendu» du braconnage des éléphants.
À tel point qu’aujourd’hui, l’espèce est très, très, très sérieusement menacée. En seulement trois ans, plus de 100 000 éléphants africains ont été décimés. De 2009 à 2015, la Tanzanie et le Mozambique ont perdu la moitié de leurs pachydermes. Et il n’y a aucun réconfort à trouver dans une perspective à plus long terme, car depuis 1980, la population d’éléphants a décliné de 61 %.
Au rythme actuel, c’est un éléphant qui meurt, tué, à tous les quarts d’heure.
La position de l’Union européenne est donc surprenante, pour ne pas dire carrément irréfléchie et irresponsable. Les 29 pays africains qui s’y opposent, réunis autour de la Coalition africaine des éléphants, croient que la mesure désirée par l’UE enclencherait l’extinction certaine de l’espèce. Et ça ne prendrait que 25 ans pour que le dernier éléphant d’Afrique à l’état sauvage disparaisse, à tout jamais.
Déjà, ces animaux, ciblés pour leurs défenses que la nouvelle bourgeoisie chinoise est prête à payer à prix d’or pour montrer son prestige, réagissent de manière inédite à l’incroyable danger de mort qui les entoure.
Le New York Times, dans un reportage publié début juillet, montrait que les hardes d’éléphants sont de plus en plus menées par des jeunes. Dans ces sociétés matriarcales, les mères mènent l’ensemble. Mais ce sont précisément elles qui sont les premières ciblées par les kalachnikovs des braconniers, puisque leurs défenses sont plus grosses.
Leurs filles doivent donc prendre la relève et assurer la survie du groupe, alors qu’elles n’ont pas encore acquis le savoir de leurs génitrices quant aux routes de migration, aux points d’eau accessibles, aux méthodes de défense, etc.
Le drame du braconnage est ainsi devenu une tragédie familiale, une triste histoire d’enfants qui doivent grandir trop vite devant une adversité qu’ils subissent, sans jamais la mériter. Une histoire qui ressemble, au fond, à celles de beaucoup – trop – de jeunes humains…
Même le cycle de vie des éléphants a été modifié par les massacres à répétition dont ils sont chroniquement victimes. Ainsi, des observateurs sur le terrain rapportent que les hardes se déplacent de plus en plus souvent sous le couvert de la nuit afin de déjouer les braconniers. Et qu’elles sont également de plus en plus imposantes, atteignant parfois jusqu’à 550 individus!
L’Union européenne n’adoptera sa position définitive qu’en septembre. D’ici là, il est à espérer que l’interdiction totale du commerce de l’ivoire sera maintenue. C’est à souhaiter pour la survie des éléphants, d’abord, mais aussi pour la bonne conscience de l’Europe. Elle qui compose un bloc de 28 pays au sein de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), elle possède de fait le plus grand nombre de votes. Et si l’UE suit le chemin du profit avant celui de la survie, elle donnera vraisemblablement un coup de pouce aux braconniers qui, eux, œuvrent à la disparition d’une espèce emblématique du règne animal avec efficacité – et aucun, aucun scrupule.