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Futur pont Champlain: l’importance des symboles

Photo: Métro

Les touristes associent plusieurs villes du monde à un grand pont : le Golden Gate à San Francisco, le pont de Brooklyn à New York, Tower Bridge à Londres… Montréal devrait-il profiter de la construction e son nouveau pont pour créer un ouvrage emblématique? Métro a posé la question à trois experts de l’architecture et du design urbain. «Il ne faut jamais sous-estimer l’importance symbolique de nos œuvres d’ingénierie, surtout quand il s’agit d’une entrée de la ville, affirme d’emblée David Hanna, professeur spécialisé en transport au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Quand quelque chose devient emblématique, on finit par utiliser son illustration partout et elle s’imprime dans l’imaginaire des gens. Il est donc essentiel que ce pont devienne un symbole.»

Une opinion que ne partage pas l’historien d’architecture et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain à l’UQAM Luc Noppen. «Mont­réal peut se passer d’un pont emblématique, estime-t-il. Surtout que c’est une tâche difficile, car il y a de plus en plus de ponts de grande qualité, tant en raison de la technologie utilisée que de leur forme inspirée ou de leur adéquation au site.»

Jérôme Glad, membre fondateur de la jeune Association du design urbain du Québec, se montre plus nuancé. «Les ponts de ce type sont appelés à devenir emblématiques de par leur position, leur envergure et leur participation obligée au paysage, croit-il. Sauf que l’idée de l’emblème est un peu perverse en soi : à vouloir en faire trop, on peut se compliquer la vie et se tromper.»

Selon le designer urbain, «la plus grande opportunité de ce pont est de s’inscrire dans l’actualité, c’est-à-dire d’être une infrastructure qui respecte nos valeurs, notre conscience environnementale, et qui fait une place aux habitants, pas juste aux voitures.»

M. Glad suggère, en vrac, d’y bâtir un belvédère pour offrir aux gens une vueinédite sur le fleuve, d’y intégrer un bar ou un restaurant, d’aménager un accès à l’eau à sa base, de construire un espace vert sous le pont autoroutier où passerait une piste cyclable… «En fait, les possibilités d’usage sont presque infinies; le but est de faire un milieu de vie habitable qui deviendrait en soi un symbole», résume-t-il en citant l’exemple du pont de Brooklyn.

Luc Noppen met toutefois en garde contre un projet qui serait conçu uniquement dans le but de devenir un symbole : «On n’a pas construit le Golden Gate avec l’intention d’en faire une icône», rappelle-t-il. «Ce qu’il nous faut, c’est un pont différent, poursuit M. Noppen. La dimension emblématique peut être facilement obtenue par le recours à des artistes de renom : si l’architecte paysagiste Claude Cormier  le peint en rose avec des petits pois verts, il va faire fureur. Si on demande au concepteur lumière Gilles Arpin de l’éclairer en utilisant le Saint-Laurent comme scène, on va attirer des touristes du monde entier. Et si l’architecte Renée Daoust pouvait y insérer un hôtel au fil de l’eau qui établit un lien piéton entre l’île des Sœurs et Montréal, pourquoi pas?»

De son côté, David Hanna propose de s’en remettre à une solution éprouvée : «copier» le design d’une structure existante, le pont Papineau-Leblanc en l’occurrence. Le professeur estime que l’ouvrage à suspension latérale qui relie l’avenue Papineau à l’autoroute 19 – à Laval –, est «une œuvre d’art tout en étant une œuvre d’ingénierie, car il est bien pensé, avec les bonnes couleurs et les bons matériaux».

L’esthétique du pont ne doit cependant pas être un objectif en soi, affirme Luc Noppen, car «en général, c’est quand on veut faire beau à tout prix qu’on se casse la figure». «Le but recherché n’est surtout pas que ce soit beau et compréhensible juste pour les connaisseurs de design, renchérit Jérôme Glad. Il faut que ce soit apprécié de tous, comme le viaduc de Millau, en France, par exemple.»

Et qu’en est-il du point de vue budgétaire? Cette fois, les trois experts sont du même avis : une infrastructure con-çue dans une perspective emblématique n’est pas vraiment plus chère qu’un pont «classique». «En principe, faire laid ou faire beau coûte le même prix», estime Luc Noppen. Et selon lui, par les temps qui courent, «on peut proposer un projet cheap, puis le grossir à coups de dépassements de coûts et de commissions». Ce à quoi Jérôme Glad ajoute «qu’à Montréal, il y a une peur – justifiée quelquefois – des grands projets». «Un emblème, ça vaut son pesant d’or, assure de son côté David Hanna. Pour un maigre investissement supplémentaire, on récolte ensuite des bénéfices chaque année, encore et encore. Pensez au Golden Gate : c’est une poule aux œufs d’or!»

Finalement, les trois spécialistes s’entendent pour dire que l’essentiel, dans le design de l’infrastructure, «c’est de ne pas rater le bateau». «Ce pont est une belle occasion de consolider notre statut de Ville UNESCO du design, résume David Hanna. Il ne faut surtout pas la
manquer!»

L’imagination avant le budget
Les trois spécialistes interrogés estiment que, pour assurer l’originalité du futur pont, il est essentiel de recueillir un maximum d’idées avant de le dessiner et de fixer le budget pour sa construction. «On était plus audacieux au début du XXe siècle, souligne David Hanna En ce temps-là, on laissait la place aux architectes et aux ingénieurs pour faire les plans qu’ils voulaient, et on mettait ensuite l’argent pour réaliser les projets. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on a des paramè- tres budgétaires serrés dès le départ, ce qui exclut l’imagination.»
Cette manière de procéder désole aussi Luc Noppen, qui estime «qu’en cette matière, le ministère des Transports n’est pas très original, et nos ingénieurs agglutinés en grosses boîtes d’affaires, non plus.»

Priorité transport collectif
Les spécialistes sont unanimes : il faut que le futur pont accorde une grande place au transport collectif.

  • «Il est critique que le transport en commun soit au cœur du projet, car ce pont jouera un grand rôle dans l’amélioration du transport collectif dans la région», font valoir David Hannaet Jérôme Glad.
  • «Je propose plutôt qu’on mette nos énergies sur un tramway emblématique qui contribuerait à ennoblir tout son parcours, et pas seulement le pont», ajoute Luc Noppen.

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