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Un non-obèse peut-il se plaindre pour les obèses?

Mélanie Marquis, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

OTTAWA — Gabor Lukacs pèse entre 75 et 80 kilos, «dépendant de la saison, de la charge de travail, du stress».

Lorsqu’il prend l’avion, il n’est donc pas plus à l’étroit qu’un autre dans son siège.

Devrait-il avoir le droit de contester le traitement que réserve Delta Air Lines aux passagers obèses même s’il n’est pas lui-même aux prises avec un problème de surcharge pondérale?

C’est sur cette question, qui pourrait avoir un impact sur des actions collectives entourant les droits des consommateurs, qu’a accepté de se pencher la Cour suprême du Canada. L’appel avait été logé par Delta Air Lines, qui avait subi une défaite en Cour d’appel fédérale.

L’affaire émane d’une plainte déposée par un ardent défenseur des droits des passagers qui a porté devant les tribunaux une trentaine de causes, dont certaines ont forcé de grandes compagnies aériennes à offrir des compensations plus généreuses à leurs clients lésés.

«En 2014, j’ai appris que Delta avait comme politique d’exclure les passagers de forte taille de leurs vols (…) pour ultimement les ‘encourager’ à acheter deux sièges au lieu d’un», a exposé Gabor Lukacs en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

«C’est ce qui a été décrit dans un courriel envoyé par deux passagers au service à la clientèle. Delta n’a jamais nié que cela faisait partie de ses pratiques, alors j’ai immédiatement déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (OTC), qui l’a rejetée», a-t-il relaté.

L’OTC a refusé d’examiner la plainte en arguant que le mathématicien de 34 ans n’était pas lui-même obèse, et qu’il n’avait donc pas la «qualité pour agir» requise pour contester le Règlement sur les transports aériens.

La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision en septembre dernier, concluant que le refus de se pencher sur la plainte de M. Lukacs au seul motif que ce dernier ne répondait pas aux critères élaborés par les tribunaux de juridiction civile était déraisonnable.

Le prolifique plaignant est évidemment du même avis.

«Disons que je vais à l’épicerie, que je vois de la viande avariée dans le présentoir, que je me plains et qu’on me répond: ‘Oh, vous êtes végétarien, vous ne pouvez vous plaindre de la viande’. C’est une absurdité», a illustré le résidant de Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Le jeune homme a cumulé de nombreuses victoires contre les transporteurs aériens devant les tribunaux au fil des ans. C’est grâce à lui qu’Air Canada offre des compensations plus généreuses aux passagers exclus de vols intérieurs surréservés.

La ligne aérienne américaine s’est «réjouie» que la Cour suprême ait accepté d’entendre son appel, car la question de déterminer qui peut porter plainte auprès de l’OTC est «importante pour notre industrie», a écrit à La Presse canadienne Morgan Durrant, porte-parole de la compagnie.

Il n’a pas voulu répliquer directement aux questions sur les accusations de Gabor Lukacs, se contentant de pointer vers une section du site internet de Delta Air Lines destinée aux «clients qui ont besoin d’espace supplémentaire».

«Nous ferons tout en notre possible pour assurer votre confort, mais vous pourriez considérer l’achat d’un siège additionnel afin de vous assurer d’un confort maximal pendant votre voyage», y est-il écrit.

L’OTC a sommé en 2008 Air Canada, Air Canada Jazz et Westjet d’adopter une politique «une personne, un tarif» pour les personnes souffrant d’une déficience grave, dont celles «reconnues comme ayant une déficience fonctionnelle en raison de leur obésité».

Si Delta Air Lines perd son combat en Cour suprême, il s’agira d’une victoire pour les consommateurs qui sont victimes de discrimination, a fait remarquer en entrevue téléphonique l’avocat spécialisé en droit du transport François Lebeau.

«Si la Cour suprême (…) reconnaît qu’une personne, même si elle n’est pas elle-même impliquée ou qu’elle n’a pas un intérêt juridique personnel, peut s’adresser à des organismes de réglementation pour faire modifier des lois, c’est un gain, bien sûr, pour les consommateurs», a-t-il tranché.

Mais ce serait aussi un bon jour «pour les citoyens», a insisté Me Lebeau: «On ne parle pas ici de consommation, on parle de discrimination. On parle de la Charte des droits».

On ignore quand le plus haut tribunal au pays entendra la cause. Gabor Lukacs, qui n’a jamais vu une de ses nombreuses causes cheminer jusqu’en Cour suprême, semble déjà prêt à mener l’ultime combat.

«On m’a suggéré de prendre 40 ou 50 kilos d’ici l’audience devant la Cour suprême du Canada, mais je préférerais gagner la cause avec le poids de mes arguments», a-t-il blagué.

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