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Itinérance autochtone: plus de 33 ans dans la rue pour Raymond

Le visage de l’itinérance dans le Plateau-Mont-Royal change graduellement. On compte de plus en plus d’autochtones venant se reposer dans l’arrondissement durant la journée.

C’est le cas de Raymond, d’origine innue, qui vit dans la rue depuis 33 ans.

Son histoire débute à 14 ans, alors qu’il demeure sur la réserve de Passamit, près de Baie-Comeau, sur la Côte-Nord. Il est envoyé en centre jeunesse fermé, où les règles sont très strictes, pour le punir de plusieurs vols dont il a été reconnu coupable.

Il en sort trois ans plus tard et passe par la suite un an et demi dans une maison de thérapie, tenue par des religieuses, afin d’y traiter une dépendance à l’alcool.

« Elles étaient vraiment gentilles. Mes amis et moi y avons été bien traités. On était trois Amérindiens à y demeurer et on fuguait parfois pour aller boire et patiner », relate-t-il.

La vie de l’Innu bascule à nouveau, lorsqu’il est accusé d’agression sexuelle. Malgré son acquittement, il purge un total de deux ans moins un jour de peine pour bris de condition.

« Ç’a brûlé mon nom, même si je n’avais rien fait. Il n’y a plus un employeur qui voulait m’embaucher », explique-t-il.

À sa sortie, il choisit la rue, plutôt qu’un domicile fixe, où il se sent oppressé.

« Être en appartement pour moi, c’est comme être en prison. Ça m’étouffe. Dans la rue, je choisis ma douleur et ma joie. Je n’ai pas de contraintes. Je vis au jour le jour », raconte l’Autochtone.

C’est à cette période de sa vie qu’il rencontrera son ex-conjointe, avec qui il a deux enfants, aujourd’hui âgés de 33 et 27 ans.

« Ils sont plus stables que moi! Ma fille de 27 ans voudrait que je me rapproche d’elle, mais que voulez-vous que j’aille faire à Québec. Ma mère, elle, demeure toujours à Pessamit. Elle parle uniquement innu et me demande ce que je fais à Montréal, ils (les Blancs) vont te tuer », souligne celui qui est huit fois grand-père.

L’homme, alors âgé de 21 ans, décide de rester à Montréal. À l’époque, il arpente la rue Sainte-Catherine, seule artère qu’il connaît, en raison des séries télées québécoises.

Il se lie alors d’amitié avec un Autochtone itinérant, trilingue, originaire de Vancouver, qui sera son « professeur de la rue ».

« Il m’a montré les spots où dormir, où manger gratis. On a été longtemps ensemble. Il est décédé en 1987, assassiné sur le boulevard Saint-Laurent par une fille autochtone à qui il n’a pas voulu acheter du crack. Elle lui a tranché la gorge avec une bouteille », se remémore l’homme, aujourd’hui âgé de 54 ans.

Solidarité chez les Premières nations

La majorité des journées du quinquagénaire sont occupées à alterner entre quête et « pauses bières ». Très direct, il indique être alcoolique, mais n’avoir jamais touché aux drogues. Il affirme toujours se mettre en équipe avec un ami Amérindien parlant français ou cri, deux langues qu’il maîtrise, afin qu’ils puissent se relayer pour quémander.

Malgré la situation, Raymond assure que les itinérants autochtones de Montréal se serrent les coudes.

« Même dans la rue, on s’entraide. On se tient pas mal tous aux Projets autochtones du Québec. On est 38 là et il faut garder l’endroit propre, donc on a des tâches, mais j’aime vraiment ça. Je vais y dormir, parce que tous mes chums sont là. Entre Indiens, on ne laisse personne mourir de faim et on ne se juge pas », indique l’Innu.

Cette solidarité résulterait toutefois en partie d’une peur de l’autre, particulièrement des Blancs.

« Je n’ai pas vraiment d’amis Blancs, parce que je ne les truste pas. Ils nous ont tout pris. Ils ne veulent pas de nous. Ils nous ont envoyés dans des réserves pour nous cacher, alors qu’on les a sauvés quand ils sont arrivés ici! Je ne suis pas gêné de le dire. En même temps, ils me laissent tranquille et je fais la même chose », indique Raymond.

Pourtant, dans le cadre de l’entrevue, l’homme de 54 ans désirait que la travailleuse de rue de Plein milieu, Laurence, soit présente. La jeune femme est d’origine franco-canadienne. L’avenir et la perspective de demeurer dans la rue ne semblent pas inquiéter le Montréalais.

« J’en ai déjà plus de la moitié de fait, alors ça va bien », rigole-t-il.

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