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Guatemala: poupons en prison

Photo: Oliver de Ros/Metro World News
Elsa Cabria et Ximena Villagránne - Metro World News

Au Guatemala, des enfants abandonnés à leur sort sont forcés de vivre dans les conditions sordides de prisons surpeuplées.

Un relent de moisi assaille les narines. Une odeur de renfermé flotte dans l’entrepôt qui sert d’unité maternelle à la prison pour femmes de Santa Teresa. Dans ces 300 m2, 137 femmes et enfants sont enfermés 11 heures par jour. Un peu plus loin dans la ville de Fraijanes, à côté du dépotoir, à une extrémité du Centro de Orientación Femenina (COF), se trouvent les deux pièces sans fenêtre, sombres et froides, où vivent de manière temporaire une centaine de personnes, dont la moitié sont des enfants. Ici, «de manière temporaire» signifie deux ans.

Au Guatemala, 95% des enfants dont la mère est incarcérée vivent avec elle dans un établissement pénitentiaire. Le système carcéral ne couvre pas les frais d’entretien des enfants, pas plus qu’il ne s’assure que ceux-ci grandissent dans un endroit adéquat où ils ne tombent pas malades à tout bout de champ. Ce sont les familles des détenues et deux ONG chrétiennes, le réseau Christian Broadcasting Network (CBN) et Misión de Amor, qui fournissent nourriture, couches, médicaments et jouets aux petits. L’organisme Colectivo Artesana se charge des conseils juridiques. Mais il y a des différences entre les prisons: les 46 enfants à Santa Teresa ont une garderie et de la nourriture grâce au soutien du CBN, ce qui n’est pas le cas des 51 bambins vivant au COF.

En 2010, le Guatemala a signé une entente internationale qui l’oblige à assumer la responsabilité des femmes et des enfants emprisonnés. Les règles des Nations unies connues sous le nom de règles de Bangkok stipulent que les mères et leurs bébés doivent recevoir gratuitement de la nourriture en quantité suffisante dans un environnement sain où ils peuvent faire de l’exercice. Les enfants doivent pouvoir y recevoir des soins de santé, sous la supervision de spécialistes, et leurs mères doivent y avoir droit à des articles d’hygiène, notamment des serviettes hygiéniques. Le gouvernement est tenu de se pencher sur le nombre d’enfants incarcérés et sur les répercussions de leur incarcération afin de préparer des politiques publiques en leur faveur. «Dans la mesure du possible, l’environnement prévu pour l’éducation de ces enfants sera le même que celui des enfants qui ne vivent pas dans une prison» : voilà ce qui est écrit dans une règle qui n’est pas suivie.

La vie en milieu malsain
À Santa Teresa, depuis la cour intérieure pleine de vêtements mis à sécher, il faut descendre une dizaine de marches pour accéder à la cave où vivent les mères et leurs enfants. On peut sentir de loin l’odeur qui en émane. L’odeur d’un grand nombre de personnes, l’odeur de renfermé, de désinfectant à plancher mêlé aux relents de moisi. Dans la cave, des femmes et leurs bébés sont assis sur le sol devant une télévision qui joue à plein volume. Il faut les enjamber pour atteindre les étroits couloirs qui séparent les chambres. On dirait un labyrinthe orné de feuilles de tôle.

Les moisissures ne sont pas visibles, mais leur odeur donne l’impression que la pièce est fermée depuis des mois, sans ventilation. Pourtant, quelques fenêtres sont grandes ouvertes, mais l’air n’y entre pas. La porte de la cave, où se trouvent des femmes, ne permet aucune aération elle non plus. De la musique pour enfants résonne à tue-tête, il y a le bruit des enfants qui jouent et celui des bébés qui pleurent. Le labyrinthe est suffocant.

Les murs sont vert pâle, mais ils n’ont pas toujours été de cette couleur. Sous l’effet de l’humidité, la peinture s’écaille, révélant qu’ils ont déjà été blancs, puis jaunes. La poussière ne permet pas de dire si les taches sont dues à l’usure ou aux moisissures.

«Les nuits ici sont glaciales, les murs deviennent froids comme une morgue», dit Chiqui, une femme menue qui a été incarcérée neuf fois et qui est maintenant la porte-parole de l’unité des mères. Pour elle, les moisissures et les murs lugubres expliquent les mucosités, la toux, les éruptions cutanées, les bronchites et les diverses maladies respiratoires dont souffrent les bébés. C’est l’explication de Chiqui, ainsi que celle de sept autres prisonnières interrogées, qui attribuent elles aussi aux moisissures les problèmes de santé de leurs enfants.

Les autorités du système pénitentiaire national sont conscientes du problème de moisissures. Pourtant, un seul pédiatre ne visite les lieux que deux fois par semaine. Mais c’est déjà une amélioration. Le spécialiste a été engagé en 2017. Avant, il n’y avait aucun service de santé spécialisé pour les mineurs. Le système pénitentiaire admet, par écrit, ne pas avoir de médicaments pour les enfants, car ceux-ci ne sont pas des prisonniers.

«À un certain moment, nous avons envisagé la possibilité d’installer la climatisation, mais le pédiatre a dit que ce n’était pas une bonne idée. Nous songeons à aménager une sorte de système de ventilation sur le toit», explique Paola Rivera, directrice adjointe de la réhabilitation du système pénitentiaire, sans préciser quand cela pourrait être fait.

La plupart des cas dans lesquels le Bureau du procureur général, l’institution chargée de surveiller la situation juridique et physique des mineurs, doit intervenir concernent précisément des problèmes respiratoires.

Que mangent-ils?
Le budget prévu pour les services médicaux – les médecins et les médicaments – est destiné à combler les besoins des prisonniers âgés de 18 ans et plus. D’un point de vue juridique, la direction générale du système pénitentiaire du Guatemala n’est responsable d’aucun mineur.

Le même pédiatre qui visite Santa Teresa se rend également au COF deux jours par semaine. Le département des services sociaux de la prison aide habituellement les prisonniers à obtenir des médicaments. Si les enfants sont vraiment malades, ils peuvent être transférés dans un hôpital pour y recevoir des soins médicaux. Mais le manque d’investissements gouvernementaux est un problème récurrent. «Parfois, il n’y a aucun médicament ici. Si un enfant tombe malade, on a un problème», dit Stefanie, une Nicaraguayenne emprisonnée pour enlèvement et mère d’une fillette de trois ans.

En prison, «Ana Pérez», qui ne souhaite pas donner son vrai nom, raconte qu’elle pourrait manger la rancho, c’est-à-dire les plats préparés par le système pénitentiaire, mais qu’elle préfère, comme plusieurs autres mères, cuisiner sa propre nourriture. Certaines femmes n’ont pas le choix et doivent se contenter de la rancho, qu’elles partagent avec leurs enfants. Aucune n’a de bons mots pour cette nourriture. Au COF, elles disent qu’elle est «sale», et à Santa Teresa, que «ça ressemble à du vomi». Tout ce qu’Ana mange de la rancho, ce sont les tortillas de maïs.

«Il doit y avoir des lieux adéquats: les centres de détention n’ont jamais été prévus pour recevoir des enfants.» – Axel Romero, vice-ministre
de l’Intérieur du Guatemala

La direction générale du système pénitentiaire explique par écrit que dans ses établissements, seules les femmes privées de leur liberté ont le droit de recevoir de la nourriture.

«Ce droit n’est pas bafoué», justifie Sonia Pascual, dans son bureau du procureur général, en minimisant la responsabilité gouvernementale et en renvoyant le problème au département des services sociaux des prisons pour femmes et à l’ONG Colectivo Artesana. À Santa Teresa, les mères ont une autre option pour nourrir leurs enfants. Le CBN nourrit les enfants par l’entremise de son ONG au Guatemala. Du lundi au vendredi, les bambins reçoivent un petit-déjeuner et un souper, que les mères préparent avec les ingrédients achetés par le CBN.

Le processus pour régulariser la situation de ces enfants ne fait pas partie des priorités gouvernementales. Selon le vice-ministre de l’Intérieur, Axel Romero, l’ordre est le suivant : ils doivent d’abord réparer les cellules des commissariats de police puis reprendre le contrôle des prisons du pays avant de mettre en place un système carcéral plus moderne, comprenant une nouvelle école de police, la nouvelle prison de Fraijanes et un réseau de prisons à sécurité maximale. Selon le responsable de ce plan, Francisco Rivas, ces changements exigeront au moins 10 ans.

Pendant ce temps, des enfants continueront à vivre dans les conditions sordides de prisons surpeuplées.

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