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Non, un tribunal n’a pas prouvé que la poudre pour bébé cause le cancer

Pauvre Johnson & Johnson! Deux rumeurs à son sujet circulent en même temps sur les sites de «santé et de nutrition» (clin d’œil) ! Nous avons parlé hier des «substances toxiques» supposément retrouvées dans le shampooing pour bébé de cette entreprise (ces substances ne sont pas nécessairement dangereuses et elles ont été retirées des produits Johnson & Johnson en 2014).

Aujourd’hui, nous parlerons de l’histoire qui affirme qu’un tribunal américain a prouvé que la poudre pour bébé de cette entreprise cause le cancer.

Nous pouvons classer celle-ci dans la case «vraie nouvelle mal interprétée» plutôt que dans la case «fausse nouvelle».

Ce qui est vrai: la compagnie Johnson & Johnson a été condamnée à verser 72M$ à la famille de Jacqueline Fox, décédée en octobre 2015 d’un cancer des ovaires. Sa famille allègue que c’est son utilisation quotidienne de la poudre pour bébé (poudre de talc) de cette entreprise pendant 35 ans qui a causé son cancer. Un jury de la ville de St. Louis, dans l’état américain du Missouri, lui a donné raison.

Ce qui est faux: cette décision prouve que la poudre pour bébé cause le cancer.

Ce que dit la science

En gros, les chercheurs sont assez partagés sur la question. La Société canadienne du cancer, tout comme le Cancer Council américain, fait plutôt état d’une incertitude: «Des études portant sur l’application de poudre de talc sur la région génitale, ou périnéale et le risque de cancer de l’ovaire ont donné des résultats variables. Certaines indiquent une hausse du risque alors que d’autres non», explique-t-on.

On rajoute que certaines sources de poudre de talc pouvaient anciennement avoir été contaminées à l’amiante, un minerai cancérigène bien connu, mais que Santé Canada s’assure que ce n’est plus le cas.  Le Cancer Council affirme quant à lui que les poudres pour bébé modernes n’en contiennent pas.

«Les preuves sont insuffisantes pour nous permettre de conclure que l’utilisation de poudre de talc augmente le risque du cancer des ovaires. De plus, il n’est pas clair comment la poudre de talc pourrait influencer le développement de ce type de cancer», écrit-on.

Selon cet excellent résumé de l’affaire par le magazine américain The Scientist, certaines études ont démontré que l’utilisation de la poudre pour bébé sur les régions génitales pourrait augmenter de 30% les chances de développer un cancer des ovaires. En revanche, cette étude portant sur 61576 femmes publiée dans le Journal of the National Cancer Institute en 2014 n’a trouvé aucun lien entre la poudre pour bébé et le cancer. En voici une autre qui a obtenu des résultats semblables.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a quant à elle placé la poudre de talc dans la catégorie «possiblement cancérigène chez l’humain» en 2010.

Bref, les résultats se contredisent, et l’histoire n’est pas très claire. Les chercheurs des deux côtés du débat affirment à The Scientist qu’il faut mener plus d’études sur la question avant de pouvoir trancher.

Sans surprise, Johnson & Johnson a immédiatement porté la cause en appel.

Oui, mais ce que dit la cour prouve que le talc cause le cancer, non?

Non.

Oui, un tribunal à St. Louis a décidé que la poudre pour bébé a causé le cancer de Mme Fox. Le hic, c’est qu’une cour, ce n’est pas une autorité scientifique. La décision de la cour n’affecte en rien l’opinion scientifique. Un juge, ce n’est pas un chercheur, et une cour, ce n’est pas un laboratoire.

Dans ce cas-ci, la partie demanderesse a réussi à convaincre un jury de 12 monsieur et madame Tout-le-monde que Johnson & Johnson était responsable du cancer de Mme Fox. Ce n’est pas une preuve scientifique valide.

Par contre, une chose est claire: si la cour a décidé sans équivoque que la poudre pour bébé a causé un cancer, les scientifiques qui étudient la question, eux, n’en sont pas entièrement certains. Certains croient que oui, d’autres que non.

L’inspecteur viral vous a d’ailleurs déjà parlé de ce phénomène. Une cour avait jugé qu’un vaccin avait causé une blessure neurologique à un enfant, et les groupes anti-vaccins avaient crié haut et fort qu’il s’agissait là d’une preuve claire que les vaccins causent l’autisme. Mais encore une fois, ce que dit une cour ne correspond pas toujours au consensus scientifique et ne doit pas être brandi comme une «preuve» quelconque.

Rappelons encore une fois qu’une cour américaine a déjà statué, en 1925, qu’un professeur n’avait pas le droit d’enseigner la théorie de l’évolution à ses élèves. Ça démontre à quel point les tribunaux peuvent être décalés du consensus scientifique.

En résumé: est-ce que la poudre de talc cause le cancer? Nous ne le savons pas encore, et ce n’est pas une décision d’un tribunal au Missouri qui va faire avancer l’état des recherches.

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