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Chère madame Bertrand

Chère Mme Bertrand,

C’est sûrement un peu grâce à vous si, quelque part dans les années 1990, il a été si simple pour moi d’annoncer mon homosexualité à ma mère. Nous avions, avec toute ma famille, écouté des émissions comme L’amour avec un grand A ou Parler pour parler, qui démystifiaient avec une grande empathie les réalités de ceux qui, comme moi, étaient différents. Vous n’avez pas seulement fait de grandes choses pour l’égalité entre les hommes et les femmes, vous avez éclairé le Québec et contribué à son ascension vers la modernité.

L’apport que vous léguez au Québec vous donne non seulement le droit de vous exprimer sur la question de la Charte des valeurs, il vous en confère la responsabilité. Cette responsabilité vient toutefois avec un devoir, celui d’être adéquatement informée. Malheureusement, vous démontrez une certaine ignorance lorsque vous dites que des «accommodements raisonnables sont souvent réalisés au détriment des femmes» ou que vous n’aimeriez pas être soignée par une femme voilée de peur que sa religion fasse en sorte qu’on ne soigne pas aussi bien les femmes que les hommes ou qu’on «laisse partir les vieux plus vite». Vous utilisez même le mot «peur», qui n’est pas banal dans un contexte où la xénophobie semble être en hausse.

Vous avez déclaré être inquiète de voir que seulement des hommes s’exprimaient au sujet de la Charte, or, je vous rassure, des féministes chevronnées comme Françoise David ou Alexa Conradi se sont prononcées sur la question, et une jeune garde est aussi aux aguets. Des filles comme Aurélie Lanctôt, Léa Clermont-Dion ou Léa Stréliski, des noms qui ne vous disent peut-être pas grand-chose, veillent à ce que votre héritage féministe ne s’envole pas en fumée.

Elles mènent plusieurs combats. Récemment, elles se sont opposées à la tenue de concours de beauté pour enfants, et je suis certaine qu’elles éprouvent une petite gêne à l’idée que l’une de vos signataires anime une émission où les femmes sont réduites à des «beautés portant des valises» et où le rôle de grand décideur financier est assuré par un homme. Elles se reconnaissent peut-être moins dans un féminisme paternaliste qui, en méprisant certaines femmes qu’il faudrait «sauver», leur dicterait ce qui est bon pour elles.

Vous avez raison, historiquement, les religions n’ont jamais été bien bonnes pour les femmes. Mais ce n’est pas tellement sur l’«abolition de la religion» que repose le débat. En l’occurrence, la Charte n’aura pas pour effet d’empêcher mes voisins pieux de faire un signe de croix en me voyant embrasser ma blonde. Elle n’aurait eu aucun impact sur la bourde du YMCA. Elle n’aurait pas pu sauver la petite Aqsa Parvez des griffes de son père.

Elle n’aura pour effet que d’exclure des individus de la fonction publique, et qui plus est, des femmes. Or, on sait que l’accès au travail est l’un des plus grands facteurs d’émancipation des femmes. Ça aussi, historiquement, ça l’a toujours été.

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