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Ventres indiens, hypocrisie occidentale

On s’indigne avec raison de la gestation pour autrui (GPA) pratiquée en Inde, telle que décrite par Agnès Gruda le 19 octobre dernier dans La Presse. Les conditions requises pour qu’un consentement soit éclairé sont rarement remplies dans ces cliniques de fertilité où les gestatrices sont mises en isolement le temps de la grossesse, et victimes de stigmatisation à leur retour dans leur communauté. Souvent peu éduquées et soumises à une grande pauvreté dans un contexte patriarcal, ces femmes indiennes sont placées devant bien peu de choix pour gagner leur vie.

L’injustice paraît d’autant plus grande sachant que la plupart des parents d’intention recourant aux services d’une gestatrice indienne sont des Occidentaux. Bien sûr, certains de ces parents sont attirés par les tarifs avantageux qu’offrent ces cliniques à rabais, en comparaison de celles de la Californie, par exemple. Mais un autre argument en pousse certains à lorgner du côté de l’Inde : là-bas, les règles du jeu sont claires.

Légale selon le droit criminel canadien, mais pas reconnue selon le droit civil québécois, la GPA est entourée ici d’un flou juridique. Ce flou, qu’on hésite à légiférer en raison d’un certain inconfort à légitimer la GPA, n’est pas sans conséquences sur les enfants, les parents et les mères porteuses. En 2012, l’émission d’enquête J.E. révélait qu’un couple de Québécois qui avaient fait appel à une gestatrice refusaient finalement de garder les jumeaux issus de leurs gamètes. En l’absence de balises juridiques claires, la mère porteuse était sans recours. Les parents d’intention qui font appel à des mères porteuses n’ont, eux non plus, aucune assurance que l’entente sera respectée, ce qui en pousse plusieurs à visiter différentes juridictions pour s’éviter de mauvaises surprises.

Dans un avis sur la procréation assistée publié en 2009, la Commission de l’éthique de la science et de la technologie reconnaissait que le manque de balises ici a des répercutions jusqu’en Inde, mais balayait cet argument du revers la main en recommandant que Québec maintienne tout de même le statu quo. « Considérant que l’interdiction de la GPA peut inciter au tourisme procréatif et augmenter ainsi les risques d’exploitation des femmes pauvres à l’étranger, la Commission soutient néanmoins qu’il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour aller à l’encontre de la valeur de dignité humaine que valorise la société québécoise », peut-on lire dans l’avis en question.

Bien sûr, le fait que Québec encadre la GPA ne stoppera pas le phénomène en Inde. D’autres juridictions occidentales, comme la France, approvisionnent les cliniques indiennes en interdisant chez elles la GPA. Pourtant, dans des contextes sociaux et économiques comme les nôtres, les femmes ont accès à l’éducation, à un filet social et à une panoplie d’alternatives avant de choisir de vivre une grossesse pour de l’argent. L’état de la recherche dans ce domaine en est à ses débuts, mais pour l’heure, tout indique que le facteur économique occupe une place moins importante qu’on ne l’imagine souvent dans la décision des gestatrices occidentales, et certainement moins que dans le cas des gestatrices indiennes.

Avant de dénoncer une situation sur laquelle nous avons peu d’emprise en Inde, peut-être devrions-nous nous pencher sur le nombril de nos propres mères porteuses.

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