Fuir. Marcher sans relâche, des jours durant, avec pour seules possessions les vêtements qu’on porte et cette peur. Cette peur envahissante, multifacette, dont il est impossible de se détacher. La peur d’être agressé, violé, torturé. La peur de voir des membres de sa famille être assassinés simplement parce qu’ils ont dit «non». La peur de regarder ses enfants dans les yeux et de n’y voir que la faim. La peur, certes, mais l’espoir aussi. L’espoir que cette fuite permettra de mettre fin à ces insécurités, qu’elles soient économiques ou sociales. Voilà ce qui meut ces femmes, ces hommes et ces enfants formant cette «caravane» qui traverse, alors que vous lisez ces lignes, le Mexique. Direction al norte.
Ils sont estimés à environ 7000 et sont majoritairement originaires du Honduras. Les faibles perspectives économiques, les difficultés agricoles liées aux conditions environnementales et à la fluctuation des goûts temporaires des marchés d’exportation ainsi que l’augmentation de l’ingérence des cartels dans la production agricole accentuent les difficultés économiques quotidiennes. Et de ces cartels et autres gangs criminels découle également une insécurité politique. Conséquemment aux vagues de déportation dans les années 1980 et 1990, il y a eu déportation de membres de gangs initialement circonscrits aux États-Unis, tel le MS-13. L’implantation de ces groupes au Honduras, au Guatemala, au Salvador et au Mexique – dans des contextes où les gouvernements n’étaient pas outillés pour faire face à cette problématique particulière – a entraîné une montée des violences, d’abord entre membres de gangs opposés, puis à l’échelle de la population. Le recrutement de plus en plus précoce (des garçons de moins de 10 ans étant parfois approchés pour se joindre aux gangs) et les pratiques d’extorsion accroissent l’insécurité – et poussent des mineurs à migrer seuls vers les États-Unis.
L’insécurité est également genrée. Si les gangs ciblent d’abord les garçons pour gonfler leurs rangs, les filles font les frais des initiations, le viol comme rite de passage étant pratique courante. De plus, en Amérique centrale, une femme sur trois ayant été mariée ou en union libre a été victime de violence conjugale, selon des statistiques de 2014 de la Banque interaméricaine de développement. La violence sexuelle est commune et non rapportée. Et lorsqu’elle l’est, les femmes se butent souvent à des policiers qui considèrent la violence conjugale et sexuelle comme une problématique privée ne relevant pas de leurs prérogatives. Cette absence d’éducation sexuelle, couplée à une centralité du discours religieux, entraîne une absence de droits reproductifs. Au Honduras et au Salvador, l’avortement est criminalisé. Cette réalité a donné lieu à l’emprisonnement de femmes salvadoriennes qui, à la suite d’une fausse couche, ont été accusées d’avoir volontairement mis fin à leur grossesse en «assassinant leur enfant». Plus encore, depuis 2009, toute forme de contraception est interdite au Honduras. Les femmes fuient donc un contexte de violence à la fois interpersonnelle et étatique – tentant de reprendre le contrôle de leur corps.
Alors que ces migrant.e.s cheminent vers le nord, deux autres «caravanes» se forment au Honduras et au Salvador, fuir devenant pour plusieurs une nécessité. En réaction, Washington a annoncé l’envoi de la Garde nationale à la frontière. La même stratégie avait été utilisée en avril dernier, alors qu’une caravane de migrant.e.s se dirigeait également vers la frontière. Mais cette réponse militaire n’est pas dissuasive. Les risques de la migration (extorsion, viol, prostitution forcée, mort) et les difficultés d’une vie sans statut légal aux États-Unis non plus. Les insécurités chroniques (qu’elles soient sociales, politiques ou économiques) marquant le quotidien restent un moteur de migration – et tant que ces insécurités seront omniprésentes et infranchissables, la migration persistera.