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Plusieurs pays, dont le Canada, ont épuisé leur budget carbone. Ils doivent dorénavant donner l’exemple

Thierry Lefèvre - La Conversation

ANALYSE – En considérant les questions des verrouillages qui bloquent la transition écologique, ainsi que les notions de consommation de ressources et d’empreinte environnementale : quelle est la responsabilité des différents pays sur l’ampleur du réchauffement mondial et la dégradation du climat ? La question se pose alors que les négociations sur le climat commencent dès dimanche à la 26ᵉ-Conférences des parties de l’ONU (COP26), à Glasgow.


Thierry Lefèvre, Université Laval

À l’approche des négociations sur le climat qui commencent dès dimanche à la 26ᵉ Conférences des parties de l’ONU (COP26), à Glasgow, il est bon de se pencher sur la responsabilité des différents pays sur l’ampleur du réchauffement mondial et la dégradation du climat.

La température mondiale est déterminée par la quantité totale de gaz à effet de serre (GES) qui s’accumule dans l’atmosphère. Sachant que depuis 1850, l’humanité en a déjà émis environ 2 400 Gt, le dernier rapport du GIEC estime que pour ne pas dépasser une hausse de la température planétaire de 1,5 °C, le budget carbone mondial est d’environ 400 milliards de tonnes de CO2 (400 GtCO2).

Comment un tel budget peut-il être partagé? Je suis intéressé en particulier par les verrouillages qui bloquent la transition écologique et par les questions de consommation de ressources et d’empreinte environnementale. La responsabilité des impacts environnementaux m’apparaît comme un sujet d’intérêt, sensible et très actuel.


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Les émissions indirectes

Les pays développés sont ceux qui émettent le plus de GES par habitant. Avec 15 tCO2 par personne, le Canada se situait au 15ᵉ rang mondial en 2019 et au 4e rang du G20. Ces pays contribuent ainsi majoritairement au dérèglement climatique et porte une lourde responsabilité vis-à-vis des autres pays, notamment ceux qui vont subir le plus fortement les répercussions du réchauffement du climat, principalement des pays en développement.

Les pays développés ont souvent recours à d’importantes importations pour subvenir à leurs besoins. Ainsi, une part des émissions qui leur sont imputables a aussi lieu à l’extérieur de leurs limites territoriales. On appelle émissions liées au marché, ou fuites de carbone, ces émissions indirectes. En général, elles alourdissent l’empreinte carbone des pays développés, augmentant ainsi leur responsabilité. Mais les négociations sur le climat considèrent uniquement les émissions territoriales.

La perspective historique: émissions cumulées

Ces indicateurs d’émissions de GES représentent les flux de carbone annuels, mais il faut aussi tenir compte, avec un regard historique, de l’accumulation des GES dans l’atmosphère au fil du temps. Les émissions nationales totales (ou cumulées) deviennent critiques puisque l’accumulation de GES détermine le destin du climat. Le «poids» des différents pays prend alors tout son sens.

Cette perspective a teinté très tôt les négociations de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques et est appelée «responsabilité historique mais différenciée». Dans la pratique cependant, cet aspect n’a pas beaucoup de répercussions sur les mesures effectives d’atténuation sauf dans une certaine mesure dans le cadre du Protocole de Kyoto. Ce protocole imposait en effet des cibles contraignantes aux pays dits «de l’Annexe I», principalement les pays riches, tandis que les pays en développement devaient réduire leurs émissions sans contraintes. L’impact du Protocole de Kyoto sur les émissions de GES s’avère cependant modéré.

La perspective historique a été étudiée récemment pour les émissions de carbone à travers une analyse de l’organisme britannique Carbon Brief. Les émissions cumulées réelles entre 1850 et 2021 de quelques pays y sont calculées et sont montrées dans la figure ci-dessous (en bleu). On peut voir les fortes émissions cumulées des États-Unis (516,5 GtCO2) et de la Chine (284 GtCO2). Le Canada, pour sa part, a émis un total de 65,5 GtCO2 entre 1850 et 2021. Par habitant, le Canada arrive en tête des émetteurs selon ce critère, avec 1 751 tCO2.

Les émissions cumulées réelles entre 1850 et 2021 de quelques pays.

Le cumul d’émissions équitable

Mais que représentent ces quantités par rapport au budget carbone qui est alloué à l’humanité? Le capital total d’émissions dont l’humanité «disposait» initialement pour ne pas dépasser 1,5 °C était d’environ 2 800 GtCO2. Par habitant, cela correspond à un capital total d’émissions de 359 tCO2. Selon une vision équitable, cette valeur est la même pour chaque Terrien. On peut alors rapporter cette valeur aux populations nationales pour déterminer le capital «équitable» dont disposait chaque nation, comme on peut le voir sur la figure ci-dessus, en vert.

Ce calcul considère la population mondiale en 2021 et de ce fait suppose de manière implicite que la responsabilité des émissions incombe aux citoyens vivant aujourd’hui. Cette approximation ne prend pas en compte la croissance démographique et ce faisant, favorise les pays qui ont connu la plus grande croissance. Cependant, cette approximation a également été utilisée dans l’analyse de Carbon brief et ne remet pas en cause le raisonnement ni les conclusions générales.

Considérant l’ensemble de la population canadienne, la part du capital équitablement partagé avec le reste de l’humanité qui revient au Canada est de 13,6 GtCO2. Cependant, avec ses 65,5 GtCO2 réellement émis, le pays a d’ores et déjà crevé son budget carbone: il accuse aujourd’hui un passif de 52 GtCO2.

À titre comparatif, la Chine dispose d’un capital d’émissions de 517 GtCO2 mais n’en a émis dans les faits «que» 284 GtCO2, lui donnant ainsi un budget restant «théorique» de 233 GtCO2. L’Inde est dans la même situation, alors que les États-Unis, l’Allemagne et la France, comme le Canada, ont dépassé leur budget carbone.

L’accaparement des émissions de GES

Ces chiffres montrent que des pays comme le Canada se sont déjà appropriés des émissions de carbone et empêchent certains pays de pouvoir disposer de certaines émissions de CO2. Le budget mondial restant, 400 GtCO2, est en effet inextensible. De nombreux pays vont donc devoir devenir carboneutres avant de pouvoir émettre la part du capital mondial de GES «qui leur revenait».

Ainsi, si le Canada avait un tant soit peu d’éthique et de responsabilité, il mettrait tous les moyens à sa disposition et toute sa motivation pour devenir carboneutre aussi rapidement que possible et pour paver la voie à l’ensemble des nations. Et puisqu’il est impossible de revenir en arrière, les plus gros émetteurs, le Canada en tête, pourraient compenser financièrement les pays les plus pauvres afin de les aider à se développer tout en atténuant leurs émissions et les aider à s’adapter aux changements climatiques.

Le Canada aura-t-il la volonté de reconnaître l’appropriation qu’il a faite des émissions de GES et ses devoirs vis-à-vis des nations les plus pauvres?

Thierry Lefèvre, Professionnel de recherche en science des matériaux et cofondateur du regroupement Des Universitaires, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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