Montréal

L’amour flou

Ligne d’autobus 51, direction ouest. On est mardi, il est 8 h 30.

Petit matin aux vitres embuées et aux passagers enrhumés. L’automne n’est plus à nos portes : il est carrément entré! Et on dirait que personne à bord n’a envie de voir s’éloigner l’été. C’est dans ce climat et avec cet état d’esprit que je prends place au fond du bus.

Sur la banquette arrière se trouvent quelques étudiantes en uniformes. Des ados d’une quinzaine d’années arborant des chaussettes marines montées jusqu’au genou, des jupes écossaises bleues et vertes et de blancs chemisiers. Elles affichent pour la plupart un air studieux et angélique.

Je ne peux m’empêcher de porter attention aux propos que tiennent deux des jeunes filles, qui sont assises côte à côte. Elles discutent le plus sérieusement du monde. De philo?

De certaines complexités gram­ma­­ticales ou mathématiques? D’incohérences histo­riques ou religieuses? Pas pantoute! Ces jeunes filles parlent des garçons.

Jeune fille no 1 : «Ce qui est important, c’est d’en avoir un avec qui c’est sérieux. Après, ça fait rien d’avoir d’autres fréquentations autour en même temps. Mais il en faut un central.»
Jeune fille no 2 : «Ouais… Autour, c’est pas un chum… C’est plus comme des genres d’amis spéciaux.»

Des genres d’amis spéciaux? Je suis perplexe et jongle avec cette proposition comme s’il s’agissait d’un problème d’arithmétique des
temps anciens. À quel moment un train doit-il décélérer pour ne pas dérailler et foncer dans la gare?

Je me sens soudainement dépassée, voire médiévale.

La discussion des donzelles se poursuit.

Jeune fille no 2 : «Pis avec les amis spéciaux, c’est pas vraiment de l’amour. C’est juste comme un genre de complicité, d’attirance, avec de l’affection.»
La jeune fille no 1 ne rétorque rien. Elle est pensive. On voit qu’elle se demande si, quelque part, l’amour n’est pas quelque chose qui pourrait se rapprocher de l’équation : complicité + affection + désir.
La jeune fille no 2 reprend son exposé sur l’amour au XXIe siècle : «Pis au fond, ce qui serait vraiment cool, c’est que plus tard on puisse se marier… à l’église.»

Ce matin-là, il n’y a pas que les fenêtres du bus qui soient embuées. Il y a peut-être certaines convictions qui le sont aussi.

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