Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne d’autobus 427 direction ouest. C’est jeudi, il est 8 h 20.
La jeune femme qui monte dans le véhicule a les joues rosies par le froid. À moins que ce ne soit la chaleur qui colore ainsi son teint. Cette seconde hypothèse semble être la bonne, car elle détache rapidement sa doudoune et dénoue son écharpe aussi mauve que douce, libérant ainsi son cou. Elle soupire un bon coup, réalisant qu’encore ce matin, aucune place n’est libre.
Son manteau ouvert laisse voir qu’elle est franchement enceinte. À vue de nez, comme ça, je dirais d’au moins huit mois. Une belle bedaine ronde comme une montgolfière. Si au moins cette dernière pouvait la transporter jusqu’au centre-ville par voie aérienne, ça lui éviterait ces trajets terrestres quotidiens ponctués d’obstacles.
Tout, en ce moment, lui semble laborieux et inconfortable : ses bottes étanches, mais si lourdes, la dame derrière elle qui la frôle sans arrêt, le sac à dos de l’étudiant devant elle qui entre systématiquement dans sa bulle.
Tel un radar, elle cherche de son regard bleu quel corps pourrait être assez charitable pour daigner se mouvoir afin de lui laisser une place pour s’asseoir. C’est tous les jours la même histoire : elle doit affronter des étudiants, des hommes d’affaires qui s’entraînent, des jeunes filles occupées à texter ou à se mettre du mascara.
À quoi servent donc les affiches aux pictogrammes ordonnant de céder la place aux femmes enceintes ou autres individus physiquement défiés?!
La future mère se sent effectivement défiée et, telle une Jeanne d’Arc défendant son territoire, c’est-à-dire elle-même et son petit locataire, elle se sent prête à provoquer n’importe qui en duel. Un homme assis, la voyant s’approcher, se met à chercher frénétiquement un alibi dans son attaché-case. La belle dame, avec fermeté, respect et courage, revendique le siège. L’homme, ne pouvant qu’accéder à cette demande, se lève en grommelant quand même un peu.
Elle prend place, replace ses cheveux blonds. Elle regarde par la fenêtre l’hiver qui s’étire, puis pose doucement les mains au-dessus de son nombril, sur cette nouvelle vie qui pointe.
Et pour la première fois aujourd’hui, elle se sent totalement légère.