Hausse de la présence policière dans certains quartiers, création d’équipes spécialisées, interdiction des armes de poing et initiatives communautaires: les avenues explorées pour faire face à la hausse des fusillades à Montréal sont multiples. Chose certaine, il n’existe pas de «solution magique» à cet enjeu de taille.
Meriem Boundaoui n’avait que 15 ans lorsque des coups de feu ont mis à fin à ses jours, alors qu’elle se trouvait dans une voiture à Saint-Léonard, dimanche dernier. La mort de cette jeune femme, victime collatérale de la violence armée dans la métropole, a causé une onde de choc dans la communauté. En réaction à ce triste événement, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, est revenue à la charge mercredi dernier en réclamant l’interdiction de la possession privée d’armes de poing à l’échelle du pays, comme elle l’avait déjà fait en novembre 2019, à la demande de l’opposition.
L’an dernier, Ottawa a annoncé des mesures pour mieux encadrer les armes d’assaut. Le premier ministre Justin Trudeau préfère toutefois pour l’instant reléguer aux villes la décision de restreindre ou d’interdire les armes de poing sur leur territoire.
«Ça ne fait aucun sens que les villes légifèrent l’une à la suite de l’autre parce que bien sûr, les armes se promènent», a martelé Mme Plante mercredi, en séance du comité exécutif.
Hausse des fusillades
L’an dernier, 443 crimes impliquant des armes à feu se sont produits à Montréal, selon le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il s’agit d’une hausse de plus de 15% par rapport à 2019. Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles comptent parmi les arrondissements les plus frappés par ce phénomène.
«Il y a des innocents qui sont tués», a déploré Mme Plante lors d’un vibrant plaidoyer. La mairesse prévoit d’ailleurs rencontrer prochainement le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, pour le presser de mieux encadrer les armes de poing. Son cabinet n’a toutefois pu préciser à Métro quand cette rencontre aura lieu.
Selon un sondage de la firme Ipsos mené l’an dernier, 71% des Canadiens seraient en faveur d’un bannissement des armes de poing à l’échelle du pays.
«C’est un moment charnière [pour interdire les armes de poing]. Si rien n’est fait, les armes vont continuer à circuler et le lobby des armes va continuer de prendre de l’ampleur», estime la coordonnatrice de PolySeSouvient, Heidi Rathjen, en entrevue à Métro.
Joint par Métro, le cabinet du ministre Bill Blair a rappelé qu’il présentera prochainement un projet de loi concernant l’encadrement des armes de poing. Il n’a toutefois pas voulu donner de détails sur son contenu.
«On a une problématique grandissante au niveau de la violence par arme à feu, mais le courage politique pour régler ce problème-là n’existe pas» -Heidi Rathjen, coordonnatrice de PolySeSouvient
S’attaquer aux armes à feu illégales
Selon des données fédérales, plus d’un million d’armes de poing étaient enregistrées au Canada en 2019, un nombre qui a connu une forte croissance au cours des dernières années. En 2012, on en rapportait environ 465 000.
Par ailleurs, nombre d’armes de poing illégales sont en circulation, à Montréal comme dans les autres grandes villes du pays. Certaines proviennent des États-Unis ou sont fabriquées de façon artisanale à l’aide de pièces détachées, notamment.
«C’est très facile de magasiner une arme illégalement. Sur le marché noir, c’est très simple», soulève le spécialiste en armes à feu et chercheur associé à l’Observatoire de la Chaire Raould-Dandurand, Francis Langlois. Ainsi, le simple fait d’interdire la possession privée d’armes de poing ne pourrait suffire à mettre fin à leur circulation dans les grandes villes du pays. «Il n’y a pas de solution magique [à cet enjeu]», rappelle l’expert.
«Le gros problème du Canada, c’est qu’il est à côté du pays où la population civile est une des plus armée au monde», ajoute M. Langlois. Ce dernier estime donc qu’Ottawa devrait renforcer ses mesures de contrôle aux frontières pour limiter l’importation d’armes à feu des États-Unis.
D’autre part, l’expert voit d’un bon œil la création par le SPVM d’une escouade de lutte contre le trafic d’armes. Celle-ci permettra à une trentaine de policiers de s’attaquer à cet enjeu dans divers quartiers de la métropole à partir du 22 février.Francis Langlois espère toutefois que les équipes de ce type mises en place par divers corps policiers au pays «vont tenir un registre précis de ce qu’elles saisissent». Les autorités pourront alors définir d’où proviennent ces armes illégales et prendre des actions ciblées pour s’attaquer à ce problème, explique-t-il.
Le profilage racial inquiète
Le chef du SPVM, Sylvain Caron, a par ailleurs indiqué cette semaine avoir renforcé la présence policière dans les secteurs de la métropole qui ont été touchés par des fusillades dans les dernières semaines. Une situation qui soulève des craintes auprès de certains organismes, qui appréhendent une hausse du profilage racial dans certains arrondissements où le problème est déjà bien présent.
«Il y a beaucoup de policiers qui ont des biais systémiques qui font qu’ils arrêtent plus souvent des personnes autochtones et des Noirs plutôt que d’autres personnes», rappelle l’avocate et chargée de projets au sein de l’organisme Hoodstock, basé à Montréal-Nord, Marie-Livia Beaugé. Une étude a d’ailleurs levé le voile sur ce phénomène en 2019
Selon Mme Beaugé, la Ville devrait plutôt investir davantage dans des initiatives communautaires pour soutenir les citoyens qui résident dans les quartiers les plus affectés par la récente hausse des fusillades.
«Il y a beaucoup de solutions qui sont apportées [par le milieu communautaire], mais il y a un manque d’argent pour aider les organismes à Montréal-Nord et dans d’autres quartiers», constate-t-elle.
Ce mois-ci, le comité exécutif a adopté un nouveau programme qui vise la prévention de la violence commise et subie chez les jeunes. Jusqu’à maintenant, la Ville a investi 1 M$ dans cette initiative, baptisée «Montréal sécuritaire pour les jeunes», afin de permettre des interventions dans 11 arrondissements. La mairesse Valérie Plante compte maintenant sur Québec pour bonifier ce programme.
«Un million, c’est ridicule», laisse tomber Mme Beaugé, qui estime que la Ville devrait revoir ses priorités budgétaires au lieu de réclamer plus de fonds auprès de Québec.
«Il y a des quartiers qui ont été laissés de côté [par la Ville] et qui continuent d’être laissés de côté. C’est ça le problème», tranche la militante.
Les caméras portatives reviennent à l’agenda
Afin de prévenir le profilage racial et social de la part des policiers montréalais, le chef d’Ensemble Montréal, Lionel Perez, entend pour sa part revenir à la charge à la prochaine séance du conseil municipal, le 22 février, afin de réclamer de munir l’ensemble des policiers de Montréal de caméras portatives. Une mesure qui nécessiterait l’ajout de fonds au Plan décennal d’immobilisations de la Ville.
«Tout le monde reconnaît que depuis quelques années, mais encore plus depuis l’affaire Camara, la confiance du public à l’égard des policiers a été ébranlée. […] C’est fini le temps des projets pilotes, il faut aller vers un déploiement», martèle l’élu à Métro.
Des organismes ont toutefois soulevé dans les derniers jours les limites de cette technologie pour lutter contre le profilage racial à Montréal.