Un des premiers projets immobiliers dans Ville-Marie à devoir se soumettre au règlement pour une métropole mixte, communément appelé 20/20/20, pourrait ne pas avoir à respecter ses exigences en matière de logement social.
De la mi-février au 1er mars, des résidents de l’arrondissement de la mairesse Valérie Plante ont pris part à une consultation publique entourant un projet immobilier du promoteur Maître Carré. Celui-ci souhaite démolir un vieil entrepôt situé sur la rue Ontario Est, dans le district de Sainte-Marie, pour laisser place à deux bâtiments résidentiels de cinq étages. Ceux-ci compteront 215 unités de différente taille, dont une trentaine de logements familiaux de trois chambres (14%).
«Il y a des retombées sociales intéressantes pour la communauté», se réjouit le responsable de l’habitation au comité exécutif, Robert Beaudry, en entrevue à Métro. Ce dernier précise qu’une grande place publique verra le jour entre les deux bâtiments, qui disposeront de toitures verdies. Le projet prévoit aussi la plantation d’une vingtaine d’arbres sur le site.
«Il y a quand même eu du travail fait par l’arrondissement pour que le projet s’intègre [au quartier]», ajoute l’élu de Projet Montréal, qui siège dans Ville-Marie. Ce projet a fait l’objet d’une consultation, car il nécessite des dérogations au règlement d’urbanisme de l’arrondissement, notamment en raison de sa hauteur et de sa densité, trop élevées pour ce secteur.
Un «test» pour le règlement d’inclusion
Les documents du conseil d’arrondissement de mardi soir, qui concernaient l’adoption en deuxième lecture du projet, confirment d’ailleurs que ce développement immobilier devra respecter le règlement pour une métropole mixte, qui entrera en vigueur le 1er avril. Il s’agit d’ailleurs d’un des deux premiers projets immobiliers en analyse dans l’arrondissement à devoir se conformer à celui-ci, indique M. Beaudry.
«Pour nous, ça sert un peu de test», explique à Métro le coordonnateur du Comité logement Ville-Marie, Éric Michaud.
Ce règlement vise à obliger les promoteurs de la métropole à inclure 20% de logements sociaux dans leurs projets immobiliers, de même qu’un pourcentage variable de logements familiaux et abordables, en fonction du secteur. Ceux-ci ont toutefois l’option d’accorder une compensation financière ou des terrains à la Ville, s’ils n’incluent pas de logements sociaux sur le site.
Des exceptions
Le règlement pour une métropole mixte précise clairement qu’il fait de la construction de logements sociaux sa «priorité», en obligeant les promoteurs à respecter cette exigence dans tous les secteurs de la métropole. Le document prévoit toutefois que les développeurs immobiliers qui optent pour certains programmes gouvernementaux visant à augmenter la part de logements abordables dans leur projet n’ont pas à respecter ce règlement.
C’est d’ailleurs l’avenue qu’explore Maître Carré. Le développeur immobilier a entamé des démarches auprès de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) afin de s’inscrire à son programme de financement de la construction de logements locatifs. Celui-ci devrait lui permettre d’offrir un loyer au moins 20% en-deçà du loyer médian du secteur pour au moins 30% de ses unités. Une mesure qui s’appliquera pendant 20 ans.
Si le promoteur confirme cette entente avec la SCHL, il n’aura alors pas à inclure d’unités de logement social sur le site ni à accorder une contribution financière à la Ville, confirme M. Beaudry.
«La retombée sociale est présente pour nous parce qu’on vient offrir de l’abordabilité pérenne dans un secteur qui, on le sait, est en pleine ébullition. Donc, ce n’est pas négligeable de dire que pendant 20 ans, il y aura une bonne masse de logements abordables disponibles», affirme l’élu.
«On exclut les logements sociaux»
Cette situation soulève toutefois des inquiétudes dans le milieu communautaire. Des organismes craignent que plusieurs promoteurs utilisent les exceptions au règlement pour une métropole mixte afin de contourner celui-ci dans les prochaines années.
«On exclut les logements sociaux, déplore Éric Michaud. Il risque d’y avoir beaucoup de projets qui pourront se prévaloir des exclusions à ce règlement-là.»
Or, les logements dits «abordables» ne le sont souvent pas pour les ménages moins nantis, car les loyers proposés demeurent élevés, fait-il valoir.
«Les personnes à faible revenu sont d’emblée exclues des logements dits abordables.» -Éric Michaud, coordonnateur au Comité logement Ville-Marie
Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) s’inquiète aussi de la porte qui s’ouvre aux promoteurs par le biais de ces exceptions au règlement.
«Ça ne pallie pas du tout les besoins des ménages à faibles ou à modestes revenus [de miser uniquement sur des logements abordables]. Pour nous, c’est inacceptable», lance la responsable des dossiers montréalais au FRAPRU, Catherine Lussier. Cette dernière demande donc à la Ville de retirer certaines des exceptions inscrites à son règlement afin d’inciter plus de promoteurs immobiliers à opter pour l’inclusion de logements sociaux dans leurs projets.
«Le règlement vient d’être adopté; il va vivre. On pourra adopter des ajustements par la suite», réplique M. Beaudry. Ce dernier précise d’ailleurs que la finalité de ce projet reste à définir. Une adoption en troisième lecture doit avoir lieu en avril.
Métro n’a pu rejoindre le développeur immobilier Maître Carré, mardi.