Après avoir été dénoncée pour des manœuvres jugées antisyndicales, la direction du refuge pour itinérants est de nouveau sur la sellette. D’autres anciennes employées témoignent à Métro d’un climat de travail toxique, de problèmes de gestion importants et de congédiements à la suite de plaintes déposées au conseil d’administration de CARE Montréal.
Alors qu’ils ont entamé des démarches pour se syndiquer l’automne dernier, des employés de CARE affirment que leur employeur s’y oppose au moyen de mesures jugées illégales.
Au début du mois, certains ont fait état à Métro d’une «campagne d’intimidation» de la part du directeur général, Michel Monette, pour empêcher la syndicalisation. Mais cela ne serait que la pointe de l’iceberg du climat toxique qui règne au sein de CARE, estiment de nouvelles sources qui se sont confiées à Métro.
Non-respect des usagers et des employées
Martine* et Julie*, qui ont toutes les deux travaillé entre les murs de l’organisme, croient que le directeur général de l’endroit, Michel Monette, manque de respect envers les personnes en situation d’itinérance qui utilisent le refuge. «Les itinérants, pour lui, c’est un moyen de faire de l’argent. Il ne les aime pas, il ne les respecte pas du tout, du tout, du tout», pense Martine.
Les deux anciennes employées affirment notamment avoir déjà entendu le directeur général dire à des usagers de «fermer leur gueule».
Cette malveillance des membres de la direction toucherait aussi les membres du personnel. Julie raconte notamment avoir été témoin de commentaires déplacés sur la tenue d’une employée de la part d’un coordonnateur. «Si elle se fait agresser, ce sera de notre faute», aurait-il dit. Une troisième personne ayant travaillé au CARE, Vickie*, ajoute qu’un code vestimentaire a été instauré il y a quelques mois. L’argument selon lequel les employées se feraient agresser si elles ne le respectaient pas a aussi été évoqué à cette occasion, dit-elle.
La CSN confirme avoir recueilli plusieurs allégations en ce sens et concernant notamment du sexisme, du favoritisme et des pouvoirs arbitraires de la part de l’employeur.
Congédiements à la suite de plaintes
Lorsque Julie a voulu dénoncer la situation en portant plainte au conseil d’administration (aucun syndicat n’existait encore), elle et la plaignante se sont fait montrer la porte.
«Jusqu’à présent, je n’ai même pas eu mon motif de renvoi. Je n’ai jamais eu ma lettre de renvoi et quand j’ai fait une demande pour le chômage, on m’a dit qu’on ne pouvait pas débloquer mes fonds, car il n’y avait pas de motif de renvoi mentionné», explique-t-elle.
Martine affirme aussi avoir été témoin du congédiement de deux employées à la suite de plaintes au conseil d’administration. «Je les ai vues travailler, ces intervenantes-là, et elles étaient excellentes», soutient-elle pourtant.
Chaque personne qui se plaignait de la direction et cetera, je ne les revoyais plus le lendemain et c’est justement ce qui m’est arrivé, d’ailleurs.
Julie*, ancienne employée de CARE
Le vice-président de la CSN, David Bergeron-Cyr, indique que ce genre de situation est courant, malheureusement. «C’est le règne de la terreur, mais ça ne dure qu’un temps parce que, un moment donné, les gens s’indignent de ça et décident justement d’effectuer des actions pour améliorer leurs conditions de travail», explique-t-il.
Problèmes de gestion
Julie et Martine sont d’avis qu’une grande partie des problèmes de gestion et du climat toxique de CARE Montréal provient du fait que l’organisme a trop de sites pour ses capacités humaines. En tout, CARE Montréal gère trois grands autres refuges dans l’est de Montréal accueillant plus de 250 personnes.
De janvier à juin 2021, un refuge temporaire a aussi ouvert ses portes au centre Pierre-Charbonneau. L’endroit était aussi géré par CARE, en collaboration avec le CAP St-Barnabé. «C’est quand ils ont ouvert le centre Pierre-Charbonneau que tout a commencé à partir en couilles», souligne Julie.
Le manque de personnel pour gérer adéquatement les différents refuges a amené les usagers à faire leur propre loi et à adopter des comportements illégaux.
Julie cite en exemple la consommation, pourtant interdite, de drogues et d’alcool à l’intérieur des refuges. «Au début, les gens consommaient devant la ressource et c’était correct. […] Mais après, on avait de plus en plus de personnes qui consommaient à l’intérieur», explique-t-elle. La femme a alerté la direction de la situation, mais elle indique qu’on lui a répondu que les usagers étaient chez eux et qu’ils pouvaient consommer s’ils le voulaient. «C’est littéralement devenu une piquerie à l’intérieur», ajoute-t-elle.
C’est aussi ce dont témoigne Martine. «Les gens consommaient dans les cubicules, qui étaient dégueulasses. Il y avait du stock jusqu’au plafond. Ça sentait le diable et il y avait des bibittes», dit-elle.
C’était vraiment lourd et quand même intense. Ce n’était pas rare les nuits où je rentrais et que je pleurais… Mais je ne pleurais pas à cause du travail, je pleurais à cause de comment c’était géré.
Julie, ancienne employée de CARE
Des «dossiers confidentiels»
Michel Monette a décliné la demande d’entrevue de Métro et n’a pas voulu répondre aux allégations de vive voix. «Je ne ferai pas de commentaire verbal, sur des dossiers confidentiels tant sur nos usagers que sur nos employés», a-t-il laissé savoir par courriel.
Selon lui, les allégations «datent de plus d’un an» et aucune de celles-ci ne s’est révélée vraie. «Nous travaillons pour les personnes en situation d’itinérance et rien d’autre. Passer de 10 bénévoles à 200 employées en moins d’un an, ça passe bien sûr par des chamboulements et beaucoup d’ajustements», a-t-il seulement ajouté.
M. Monette a toutefois transmis par courriel un communiqué visant à «clarifier» des informations à l’égard de la démarche d’accréditation entamée par le syndicat. Dans le document daté du 10 février, CARE affirme miser sur l’approche «l’humain par l’humain».
«Nous réitérons notre volonté de poursuivre des relations ouvertes et participatives, puisque nous demeurons convaincus que les employés engagés sont la pierre angulaire de notre réussite. Nous continuons à vouloir favoriser un environnement dans lequel nos employés prennent plaisir à travailler, dans lequel ils se sentent respectés et dignes de confiance et se voient confier des responsabilités stimulantes», indique-t-on.
La direction de CARE rappelle toutefois que «les activités de sollicitation ou de réunion, pour ou contre la présence d’un syndicat, doivent être faites dans le respect des dispositions du Code du travail, qui proscrivent la sollicitation sur les heures et les lieux du travail».
À ce sujet, David Bergeron-Cyr de la CSN précise que les activités de sollicitation syndicales sont effectivement interdites pendant les heures de travail, mais peuvent très bien se faire sur les lieux du travail si la personne n’est pas en train de travailler.
*Noms fictifs pour préserver l’anonymat des personnes