Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne 45, direction nord. Nous sommes lundi, il est 14h15. Le bus est calme, ce qui me permet de savourer la discussion gastronomique qui a lieu devant moi.
Deux dames dans la quarantaine. L’une porte une écharpe rouge, l’autre un bonnet bleu. La première a une voix qui porte, la seconde, un ton plus feutré. Des sacs remplis de vivres les entourent.
Pour ces deux femmes, la semaine semble avoir commencé par cette activité que plusieurs, dont moi, tiennent en horreur: faire l’épicerie. J’évalue que nos deux protagonistes ont de la chance de pouvoir faire leurs courses en marge des heures de pointe.
Quiconque doit se livrer à ce supplice le dimanche le sait, alors que les allées d’un marché prennent les allures du parterre d’un show de U2 et qu’il faut risquer sa vie pour aller chercher deux concombres et une pinte de lait. L’idée de jeûner peut rapidement s’imposer ou faire naître en nous l’envie de nous contenter d’un bol de céréales pour le souper. Quoique, pour ce faire, il faudrait du lait, et rappelons que nous n’en avons plus.
Revenons aux deux dames qui évoquent maintenant les défis que représentent les repas du midi de leurs enfants respectifs. Je comprends que l’écharpe rouge a deux petits qui vont à l’école primaire, et que le bonnet bleu, elle, a une fille de huit ans.
Toutes deux s’expriment sur les défis et autres interdictions qu’implique le fait de préparer les boîtes à lunch de leur progéniture. La voix qui porte éclate de rire en sortant d’un de ses sacs un pot de beurre PAS d’arachides. «Regarde comme c’est génial. C’est un beurre de soja, complètement légal!»
On sait que l’arachide, comme toutes autres «traces de noix», sont non grata dans la plupart des écoles primaires. Son interlocutrice ajoute à la liste des défis alimentaires le fait qu’on ait retiré de l’établissement scolaire que fréquente sa petite tous les fours à micro-ondes.
«Alors, comment faire réchauffer une soupe maintenant?!» demande-t-elle avec ironie. «Dans une marmite, au-dessus d’un feu dans la cour de récré», répond son amie sarcastique.
Concevoir un lunch semble impliquer des enjeux éthiques dignes d’un sommet du G7. Et on peut imaginer que, certains matins, ces dames changeraient volontiers de place avec les grands dirigeants. Surtout quand, en plus, il n’y a plus de lait pour les céréales.