Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne 51, direction ouest. Nous sommes jeudi, il est 16h40.
Il a environ sept ans. Il lui manque une dent: une des palettes de devant. Ses oreilles sont légèrement décollées, et ses cheveux de poussin blond, échevelés. Il est totalement charmant. Et pour ajouter à ce charme, il zozote joyeusement. Il regarde intensément sa mère, assise à ses côtés. «Z’ai une devinette.»
Le petit y va de sa formule apprise par cœur, qu’il récite avec excitation, tout en s’appliquant énormément pour bien prononcer chacune des syllabes: «Qu’est-ce qui est blanc et qui vole?»
La mère pose l’index sur sa bouche et regarde vers le ciel, comme si la réponse se trouvait suspendue au plafond du bus. Une mouette? Un goéland? Une poule… Non, ça ne vole pas? Un papillon… Blanc? La Sœur volante (que seuls ceux qui sont âgés de plus de 40 ans peuvent connaître).
L’adorable petit ébouriffé zozotant hoche négativement et énergiquement la tête. «Non. Ce n’est pas ça du tout!» Il trépigne à l’idée de dévoiler la réponse et rappelle à sa mère perplexe qu’elle peut donner sa langue au chat à tout moment. Celle-ci n’abandonne pas et redouble d’imagination: Un bonhomme de neige avec des super pouvoirs? Une mariée équipée de réacteurs?
«Non! Et re-non!», de dire le petit quand même amusé par cet imaginaire un peu débridé. Alors, pour le plus grand bonheur du petit, la grande abdique.
Dans un excès de joie, il hurle la réponse, ce qui a pour résultat de faire sursauter la moitié des passagers. «DE LA FUMÉÉÉÉÉÉE!!!!!!»
La mère réfléchit avec sa tête d’adulte quelques secondes. «Mais, Jérémie, la fumée, ça ne vole pas. Ça n’a pas d’ailes. Elle flotte ou s’élève. Mais on ne peut pas dire qu’elle “vole”. Et elle n’est pas toujours blanche. Elle peut être aussi noire ou grise.»
Zérémie fronce les sourcils et croise les bras sur sa poitrine. Il demeure persuadé qu’on peut dire que tout ce qui s’élève vers le ciel s’envole. Et avant que l’homme ne pervertisse la fumée, cette dernière était blanche. Comme la neige.
Les deux pieds bien plantés dans sa logique, le petit garçon regarde l’auteure de ses jours avec, dans l’œil, une légère déception. Du haut de ses sept ans, il vient de réaliser que, contrairement à ce qu’il avait toujours cru, les adultes n’ont pas toujours raison. Ce constat lui donne à la fois un sentiment de grande liberté et un immense vertige.
Il revisite alors sa devinette et garde cette fois la réponse pour lui: «Qu’est-ce qui n’est ni un oiseau, ni un avion, mais qui pourtant devra un jour apprendre à voler?»