OTTAWA — Une décision imminente de l’administration Trump sur le sort de quelque 200 000 Salvadoriens pourrait bousculer les plans du gouvernement canadien qui s’est préparé à une possible nouvelle vague migratoire à sa frontière du sud cet hiver.
Le gouvernement américain est sur le point de décider s’il renouvellera ou non un statut de protection temporaire datant de 2001 qui a permis à des Salvadoriens de rester aux États-Unis sans craindre la déportation.
Leur statut vient à échéance en mars, et alors que les États-Unis ont mis fin au programme de protection temporaire de citoyens de plusieurs pays dans les derniers mois, il est possible que les Salvadoriens soient les prochains.
L’administration du président Donald Trump juge que l’aspect temporaire du programme n’a pas été respecté et que les conditions faisant de ces pays des endroits dangereux — les catastrophes naturelles ou les conflits — ont changé.
Mais ces décisions pourraient provoquer la déportation de milliers d’individus vers des pays qu’ils n’habitent pas depuis de nombreuses années.
Interrogé sur ce qu’il ferait advenant l’abolition du statut de protection temporaire, le Salvadorien Carlos Reyes, qui habite Long Island, à New York, a évoqué le Canada comme option lors d’une entrevue avec le journal local «Newsday».
«Une chose que je sais, c’est que je vais perdre mon emploi, et si je n’ai pas d’emploi qu’est-ce que je peux faire? Je ne veux pas aller là-bas (au Salvador), mais je ne pourrai pas rester ici», a-t-il confié.
«Il y a le Canada, mais je ne sais rien du Canada. Ma vie, tout est ici.»
Les Salvadoriens représentent la plus importante population couverte par le programme de statut temporaire et la possibilité qu’ils se retournent vers le Canada avait été signalée par des diplomates canadiens établis aux États-Unis, après la vague migratoire de l’année dernière.
Dans le contexte où le statut de protection temporaire des Haïtiens était réévalué par l’administration Trump, plusieurs d’entre eux ont franchi la frontière de façon irrégulière pour demander l’asile au Canada.
Les Haïtiens avaient commencé à affluer au pays bien avant que la décision définitive ne soit prise, et cette arrivée massive — jusqu’à 200 personnes franchissaient la frontière par jour l’été dernier — a contraint le gouvernement libéral à élaborer un plan.
Des abris temporaires ont été établis à la frontière entre le Québec et l’État de New York et des dizaines de policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’agents de l’immigration ont été déployés dans la région pour gérer la situation.
Un plan de contingence prêt
Au même moment, le gouvernement fédéral s’est préparé face à la possibilité d’une autre vague migratoire.
Des caravanes aménagées pour l’hiver ont été achetées et sont maintenant utilisées à la frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle, au Québec. Et un plan de contingence — dont les détails ne sont pas rendus publics — est prêt.
Un porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a suggéré qu’il n’est pas encore mis en oeuvre.
«Le volume de personnes qui ont franchi la frontière de façon irrégulière à Lacolle récemment est comparable aux niveaux que nous avons vus cet automne», a écrit Scott Bardsley dans un courriel.
Un peu plus de 1500 personnes ont traversé la frontière de façon irrégulière en novembre, alors qu’ils étaient 5530 en août. Mais les chiffres du mois de novembre dernier sont malgré tout bien élevés: en janvier 2017, seulement 315 personnes étaient entrées au Canada irrégulièrement.
Les Haïtiens forment la grande majorité des demandeurs d’asile. Les Salvadoriens ne se classent même pas dans la liste des dix pays d’origine les plus répandus chez les migrants qui sont arrivés au Canada, selon les chiffres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR).
Toutefois, le nombre de demandes d’asile provenant de Salvadoriens a augmenté. D’après les données du CISR, 244 demandes de réfugiés ont été remplies par des Salvadoriens pendant toute l’année 2016. Entre janvier et septembre 2017, il y en avait 564.
Campagne de dissuasion du Canada
En plus des préparations à la frontière, le gouvernement canadien a aussi lancé une campagne aux États-Unis pour dissuader les gens à venir au pays.
Certains demandeurs d’asile ont décidé d’aller vers le Nord, car ils ont été influencés par des rumeurs voulant que le Canada ait des programmes d’immigration spéciaux pour les gens couverts par les programmes de statut temporaire aux États-Unis.
Des députés parlant l’espagnol et le créole, ainsi que le ministre de l’Immigration, sont allés en Floride, au Texas, en Californie et au Minnesota afin de s’adresser à ces communautés. Les consulats de dizaines de villes aux États-Unis ont aussi multiplié les démarches pour expliquer le système d’immigration canadien, notamment dans les médias locaux.
Des défis demeurent. En novembre, le consul général du Nicaragua à Miami disait à des médias locaux que le Canada constituait une option pour les citoyens de ce pays qui se sont vus retirer leur statut de protection temporaire.
Pendant ce temps, des demandeurs d’asile potentiels fouillent sur Internet pour trouver le meilleur moyen de se rendre au Canada par des moyens irréguliers. Ils sont forcés d’utiliser ces chemins clandestins, car une entente empêche les gens provenant des États-Unis de faire une demande d’asile au Canada s’ils passent par la voie légale, les postes frontaliers.
Le gouvernement canadien tente maintenant de cibler ces gens, a indiqué Hursh Jawal, le porte-parole du ministre de l’Immigration Ahmed Hussen.
«Nous mettons en place une campagne numérique ciblée en utilisant exclusivement le marketing sur les moteurs de recherche, pour cibler spécifiquement les communautés affectées par le (statut de protection temporaire)», a-t-il expliqué par courriel.
«Les Canadiens peuvent se rassurer sur le fait que les gouvernements à tous les niveaux continueront de travailler ensemble pour protéger nos communautés et maintenir l’intégrité de notre système d’immigration, tout en respectant nos obligations internationales pour protéger les personnes vulnérables qui fuient la guerre, le terrorisme et la persécution.»