OTTAWA — Les demandes du secteur des affaires ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Le ministre des Finances, Bill Morneau, a annoncé mercredi trois mesures fiscales en réponse à la réforme fiscale de Donald Trump. Il veut ainsi éviter une fuite des investissements des entreprises vers les États-Unis.
«Le but est vraiment d’avoir plus d’investissements à l’avenir pour assurer qu’on ait une création d’emplois, a expliqué M. Morneau. Donc, ça c’est notre but et on a (pris) des mesures pour assurer que vis-à-vis des Américains, nous sommes dans une position compétitive.»
Le gouvernement fédéral permettra aux entreprises canadiennes de rentabiliser leurs achats en amortissant en entier le coût de leur nouvelle machinerie dès la première année suivant l’achat et d’amortir le coût de leurs investissements dans les technologies propres. Il crée également l’Incitatif à l’investissement accéléré pour que les entreprises, des petites aux grandes, puissent déduire une portion plus grande du coût d’autres biens qu’elles achètent pour soutenir leurs activités, comme des logiciels, des ordinateurs, du matériel de bureau et des véhicules.
Ces trois mesures qui entrent en vigueur immédiatement coûteront 14 milliards $ jusqu’en 2023-2024. Plus de la moitié de cet argent serait dépensé lors des deux prochaines années financières. Les retombées qu’elles pourraient générer ne sont toutefois pas chiffrées.
«Bien sûr, c’est impossible de dire exactement qu’est-ce qui va se passer, a concédé M. Morneau. Mais nous avons (la) certitude qu’avec les investissements, on va avoir une bonne économie et, ça, c’est vraiment notre position.»
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a salué ces incitatifs qui s’accompagnent d’une promesse d’allégement réglementaire.
«Effectivement, ça pourrait inciter plusieurs entreprises à investir parce que ça permet des économies à la fin de l’année, a-t-elle expliqué. Ça veut dire que si vous êtes imposés, juste au niveau fédéral, à hauteur de 15 pour cent, dans le fond, c’est une économie de 15 pour cent à la fin de l’année par rapport à l’impôt que vous auriez payé auparavant.»
Ces mesures ciblées visent à stimuler l’investissement et entretenir la compétitivité des entreprises canadiennes pour éliminer la tentation américaine. La réforme fiscale Trump adoptée en décembre 2017 a fait passer le taux d’imposition des entreprises de 35 pour cent à 21 pour cent et leur permet également d’amortir le coût entier de certains biens en capital.
Le ministre Morneau estime que le taux d’imposition marginal pour les entreprises au Canada en tenant compte de ces trois mesures est désormais plus avantageux de cinq pour cent que celui offert par les États-Unis, et le plus compétitif des pays du G7.
«Des jets privés et des limousines»
Contrairement à la mise à jour économique de l’an dernier qui capitalisait sur une forte croissance économique, celle de mercredi prévoit peu de nouveaux revenus pour financer ces nouvelles mesures. Ceux-ci varient entre 5,3 milliards $ en 2019-2020 et 4,1 milliards $ en 2022-2023.
Aucun retour à l’équilibre budgétaire n’est prévu ni à court terme ni dans un deuxième mandat libéral. Le déficit anticipé est légèrement plus bas que ce que le dernier budget prévoyait, mais augmentera de près de 2 milliards $ annuellement au cours des années subséquentes. Celui-ci, qui devait s’élever à 17,8 milliards $ en 2019-2020 selon les prévisions du budget de 2018, se chiffrera plutôt à 19,6 milliards $ lors de cette année financière, puis diminuerait graduellement par la suite.
Les conservateurs s’inquiètent de l’ampleur de ces déficits et rappellent que le gouvernement avait promis en campagne électorale que «le budget s’équilibrerait de lui-même».
«Le gouvernement a déjà avoué que la raison pour laquelle (il a) beaucoup d’argent, c’est à cause de facteurs temporaires hors de (son) contrôle, s’est insurgé le député Pierre Poilièvre en faisant référence aux taux d’intérêt très bas, à la vigueur du secteur immobilier et à la croissance économique internationale.
«C’est la raison pour laquelle nous revendiquons que le gouvernement utilise cette richesse afin d’équilibrer le budget et ne la gaspille pas.»
M. Morneau a défendu son approche qu’il qualifie de «responsable» et d’«optimiste» et a expliqué pourquoi il préfère éviter une élimination rapide des déficits.
«Ce que ça voudrait dire, c’est que nous devrions faire des compressions et adopter une approche fondée sur l’austérité, ce qui aurait à notre avis l’effet inverse que ce que nous tentons d’accomplir, soit le maintien de la croissance (économique) et (de la création) d’emploi», a-t-il affirmé.
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, a accusé le ministre Morneau de jouer au père Noël avec les entreprises en leur donnant des mesures fiscales tout en oubliant les citoyens.
«Ça permettra aux corporations d’acheter des jets privés et des limousines en même temps que M. et Mme Tout-le-monde souffrent avec des grands problèmes dans leurs vies.»
«Ça ressemble à un chocolat de Pâques, a comparé le député bloquiste Gabriel Ste-Marie. C’est bien beau de l’extérieur, mais c’est vide en dedans. Quand on dit que le fédéral est loin du monde, on en a tout un exemple avec cet énoncé budgétaire là.»
Il fait valoir que le gouvernement fédéral a ignoré les préoccupations des Québécois en n’augmentant pas le transfert en santé.
La chef du Parti vert Elizabeth May s’est désolée que la mise à jour économique ne contienne aucune mesure pour éliminer les énergies fossiles. «Il n’y a aucune compréhension que nous vivons une urgence climatique», a-t-elle signalé.
Le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, aurait voulu, quant à lui, que le ministre des Finances aille plus loin en abolissant les subventions aux entreprises et en réduisant leur taux d’imposition à 10 pour cent pour attirer les investissements étrangers.