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L’angoisse des Haïtiens menacés d’expulsion

A demonstrator chants anti-government slogans during a protest demanding to know how Petro Caribe funds have been used by the current and past administrations, in Port-au-Prince, Haiti, Sunday, Nov. 18, 2018. Much of the financial support to help Haiti rebuild after the 2010 earthquake comes from Venezuela's Petro Caribe fund, a 2005 pact that gives suppliers below-market financing for oil and is under the control of the central government. (AP Photo/Dieu Nalio Chery)

Alors qu’Haïti vit une période intense de contestation et de violence, des milliers d’Haïtiens arrivés au Canada en 2017 doivent être expulsés cette année. Ils retourneront dans un pays qu’ils ont fui. Malgré un sursis, les expulsions devraient reprendre, mais le désarroi et l’angoisse gagnent ceux qui attendent le départ.

Ana (nom d’emprunt), vit depuis trois ans à Montréal. Originaire d’Haïti, elle est arrivée au Québec en 2015. Travailleuse autonome, elle parle couramment français et élève seule son fils de 4 ans, né ici, donc de nationalité canadienne. L’an prochain, il devrait intégrer une classe de maternelle.

Ana, qui a épuisé tous ses recours, sera expulsée du Canada avec son fils. Elle devait partir le 21 novembre dernier, alors que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait décrété une suspension temporaire des expulsions en raison du climat de violence qui sévit actuellement au pays. La suspension a pris fin le 25 novembre; depuis, l’ASFC gère au cas par cas les expulsions, les reportant sans donner de détails sur la date. Les violences à Haiti, elles, ne cessent pas.

«Je ne sais pas ce que je vais faire là-bas. Mon but, c’est de rester ici légalement pour avoir une vie décente. Si on me demande de partir, je vais y aller, je ne veux pas désobéir. Mais à Haïti, je vais devoir rester cachée», témoigne Ana.

L’ambassade canadienne a été fermée, et le ministère des Affaires étrangères du Canada conseille vivement à tout ressortissant canadien de ne pas aller à Haïti. Des manifestations sont prévues cette semaine, et la violence est bien présente dans les rues des principales villes du pays.

Ana, comme de nombreux Haïtiens qui vivent à Montréal, suit les événements de très près. Elle voit les vidéos que partagent ses proches sur les réseaux sociaux. Elle voit les morts dans les rues, ceux qui ont été tués par balles, les cadavres qui gisent dans les ordures, ou les autres qui ont été torturés, défigurés. Difficile de savoir qui a commis ces meurtres. Certains accusent la police de tirer à balles réelles sur les manifestants. D’autres évoquent des gangs qui font la loi.

Moratoire réclamé
Depuis le début du conflit, plusieurs sources ont rapporté à Métro que les morts se comptent par dizaines. Le bilan officiel fait état de trois morts par balles.

Reno (nom d’emprunt), est passé entre les mailles du filet. Cet Haïtien a traversé toute l’Amérique centrale et les États-Unis pour venir demander l’asile au Canada, en juillet 2017, comme l’ont fait 7000 de ses concitoyens cette année-là, en passant par le chemin Roxham. Sa demande d’asile a été refusée et, comme Ana, les appels à l’aide n’ont pu changer la situation. Il a été expulsé du Canada en juillet dernier, alors que le pays était déjà en proie à des manifestations.

«Je suis extrêmement déçu d’avoir été expulsé du Canada. Je pensais qu’il pouvait m’accueillir à cause de la situation aux États-Unis» –Reno (nom fictif), demandeur d’asile au Canada en 2017

Depuis plusieurs années, et particulièrement depuis le début du conflit en Haïti, Frantz André, défenseur des droits des demandeurs d’asile, cherche à alerter l’opinion publique et les médias sur la situation de ces Haïtiens en «grande détresse», qui apprennent du jour au lendemain qu’ils devront faire leur bagage et retourner dans le pays qu’ils ont quitté, pour des raisons économiques, humanitaires ou par ce qu’ils y étaient menacés.

«Le fait de suspendre temporairement les expulsions, ça créé une insécurité. Il y a un affolement. Les gens se font dire qu’ils vont partir demain. Ils pensent qu’ils sont condamnés à mort s’ils rentrent dans leur pays. Puis, on leur dit qu’ils vont partir à une autre date, sans leur donner d’information. Ce n’est pas humain», se désole Frantz André. Il souhaite que le Canada inscrive Haïti sur la liste des pays sous moratoire, pour que le renvoi des demandeurs d’asile haïtien cesse, pour des raisons humanitaires.

Vendredi dernier, le gouvernement a refusé d’entériner la proposition de moratoire, qui était défendue par le Bloc québécois.

Ana est terrifiée à l’idée de retourner à Haïti. Elle vit dans l’attente de recevoir la fameuse lettre qui lui indiquera l’heure et la date de son expulsion. Elle pense à l’avenir de son fils. Elle voudrait qu’il grandisse ici. Elle ne voit pas d’avenir pour lui en Haïti. Elle a l’impression d’avoir été abandonnée par le Canada.

«Je veux que mon enfant soit heureux, insiste-t-elle Je me suis sacrifiée pour lui. Je veux qu’il ait une vie dans un pays stable. Mais là, on me demande de partir avec un billet d’avion pour moi et mon fils».

Elle se tait. Elle éclate en sanglots.

«Je ne sais pas quoi faire. J’ai rangé les bagages dans l’appartement. J’ai toutes mes affaires. Je suis toute seule. Tu te demandes où tu vas aller, avec qui tu vas vivre dans un pays comme ça. J’ai peur», finit-elle par lâcher.

Corruption et inégalités au cœur de la colère populaire
La crise que traverse ce pays illustre les problèmes auxquels font face les Haïtiens et les raisons qui les poussent à venir aux États-Unis et au Canada pour y demander l’asile. La corruption et la misère gangrènent le pays depuis des années. Surtout, le scandale Petrocaribe, qui a révélé que des milliards de dollars ont été détournés de ce programme de prêts entre Haïti et le Venezuela pour l’achat de pétrole, a mis le feu aux poudres au sein de la population. Les manifestants réclament maintenant la démission du président Jovenel Moïse.

Sur place, l’écrivain et journaliste Gary Victor suit de près les événements et les analyse dans ses éditoriaux pour le quotidien haïtien Le National. Joint par Métro, il fait état de la colère populaire de ces jeunes qui rêvent d’un avenir meilleur.

«La crise actuelle est beaucoup plus grave que les crises précédentes, la situation évolue vers le pire. Tout simplement parce que les dirigeants haïtiens ne se sont jamais penchés sur les problèmes réels de la population, des problèmes d’infrastructures, d‘électricités, d’emplois et d’accès à l’eau. Les dirigeants ne sont nullement concernés par ces problèmes» –Gary Victor, écrivain et journaliste à Haïti

Il constate aussi que ces jeunes ont plus de mal à quitter leur pays pour travailler à l’étranger. «Le Chili est fermé. Le Canada et les États-Unis se ferment aussi. Donc, ça crée une situation encore plus grave où les jeunes sont désespérés. Ils veulent une vie meilleure à Haïti»

Ana ne sait rien de ce qui l’attend en Haïti, ce que Reno a pu constater dès son arrivée au pays après son expulsion.

Depuis, il se cache et ne peut plus enseigner dans l’école où il travaillait avant de venir au Canada. Il ne veut pas révéler l’endroit où il se trouve actuellement, par crainte d’être retrouvé par ceux qui le persécutaient lorsqu’il a quitté son pays en 2017. Au Canada, il envoyait de l’argent à sa famille. Maintenant, il ne peut plus les aider. Il doit vivre chez des connaissances qui lui prêtent de l’argent.

«Il y a beaucoup de règlements de comptes. J’ai peur que certaines personnes utilisent les événements pour venir m’attaquer», dit-il.

Gary Victor craint que la situation ne s’envenime et que la violence s’accentue. Il y a des gangs armés dans les rues des quartiers défavorisés, soulève-t-il. Il sait pertinemment que ce sont les politiciens qui arment ces gangs, les uns pour déstabiliser l’ordre en place, les autres pour le défendre.

«On n’en parle pas dans les quartiers populaires, mais il y a beaucoup de gens qui meurent dans des exécutions sommaires. Plein de choses se passent, mais personne n’en parle. Là où la bourgeoisie haïtienne habite, on ne se soucie pas des pauvres, des laissés pour compte», renchérit-il.

«La MINUJUSTH aidera le gouvernement d’Haïti à développer davantage la PNH; renforcer les institutions de l’État de droit en Haïti, notamment la justice et les prisons; et promouvoir et protéger les droits de l’homme, le tout dans le but d’améliorer la vie quotidienne du peuple haïtien», a expliqué à Métro la GRC.

Mais la PNH a été accusée d’avoir tué plusieurs manifestants, tandis que le pouvoir a déploré la mort de plusieurs policiers, brûlés vifs il y a quelques jours. Sur ces cas, la GRC n’a pas donné davantage de détails. «Le contingent de la police canadienne fait preuve de diligence en ce qui concerne la connaissance de ladite situation et utilise en permanence diverses stratégies pour atténuer les risques», a-t-elle déclaré.

Les manifestations se poursuivront à Haïti dans les prochains jours, tout comme les expulsions de demandeurs d’asile haïtiens depuis le Canada. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a pas indiqué à Métro si elle comptait décréter une nouvelle suspension temporaire des renvois, ni combien d’expulsions sont prévues d’ici là fin de l’année.

«On risque d’aller vers le pire si on ne met pas fin à cette folie», a prévenu Gary Victor.

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