OTTAWA — Les libéraux de Justin Trudeau ont promis d’examiner comment leurs politiques affectent les femmes et les hommes différemment, mais selon des documents internes, le gouvernement tarde à implanter cette analyse dans tous les ministères et organismes publics.
Selon un sondage interne mené par Condition féminine Canada pour mesurer l’implantation de «l’analyse comparative entre les sexes plus» (ACS+, dans le jargon gouvernemental), moins de la moitié des ministères et organismes publics ont un plan en ce sens, la plupart des ministères affirmant qu’ils n’ont pas les mécanismes internes pour le faire.
Les conservateurs et les libéraux ont reconnu que l’ACS+ était utile pour réfléchir aux politiques et pour s’assurer que personne n’est laissé de côté.
L’analyse comparative entre les sexes est un outil utilisé pour réfléchir à la manière dont une politique donnée peut affecter les hommes et les femmes de différentes manières, tout en tenant compte de l’âge, du revenu, de la culture, de l’ethnicité et d’autres facteurs qui se recoupent.
Si l’analyse — idéalement réalisée dès le début de la conception d’une politique — révèle qu’un sexe serait soumis à des impacts négatifs disproportionnés, les responsables ont la possibilité de réorganiser les choses ou d’atténuer ces effets.
M. Trudeau a demandé à la ministre de la Condition féminine, Maryam Monsef, de s’assurer que le gouvernement utilise davantage l’ACS + dans la prise de décision. En 2017, les libéraux disaient avoir appliqué une analyse comparative entre les sexes à un budget fédéral pour la première fois. Mais des lacunes importantes subsistent, selon les propres conclusions du gouvernement.
Par exemple, en 2016, le gouvernement Trudeau a imposé à toutes les notes de service adressées au Cabinet et au Conseil du Trésor — qui constituent souvent la base de dépenses importantes ou de décisions stratégiques — une analyse différenciée selon les sexes. Selon l’enquête interne, moins de la moitié des ministères ont vérifié si cela avait été fait pour ces notes ou pour d’autres documents.
Les résultats montrent également que 40 pour cent des ministères et organismes affirment ne pas surveiller dans quelle mesure ils ont mis en œuvre l’ACS + et quels en seraient les effets.
«L’ACS + est moins intégrée à certaines phases du cycle politique», indique le sondage, ajoutant que les ministères et organismes signalaient des obstacles importants à la collecte et à l’analyse des données distinctes pour les femmes et les hommes.
La formation problématique
Selon les résultats de l’enquête, présentés en mai 2018 à un comité de hauts fonctionnaires, la formation sur la manière de procéder à une analyse comparative entre les sexes n’est toujours pas obligatoire dans l’ensemble du gouvernement et se concentre uniquement sur l’analyse des politiques.
Sarah Kaplan, directrice de l’Institute for Gender and the Economy de l’Université de Toronto, n’était pas surprise d’apprendre que l’ACS + n’avait pas été plus largement appliquée, en dépit des priorités féministes dont se vante tant le gouvernement Trudeau.
«Je suppose que la plupart des employés des ministères voient simplement cela comme un ajout à leur horaire déjà complet d’activités qu’ils sont censés faire. Je pense donc que c’est pour cette raison que nous ne voyons pas une mise en œuvre en profondeur», a expliqué Mme Kaplan.
Selon elle, la formation proposée aux fonctionnaires est l’un des principaux problèmes — elle ne va pas assez loin pour offrir des conseils pratiques sur la manière d’appliquer tôt l’analyse comparative entre les sexes.
«La formation en ligne est vraiment efficace pour vous donner l’état d’esprit de vous dire: « Ce sont quelques éléments à prendre en compte »… mais la formation contient beaucoup moins de choses sur ce que vous devez faire réellement, techniquement, si vous voulez faire cette analyse comparative entre les sexes», a-t-elle précisé.
Un enjeu de longue date
Les difficultés du gouvernement pour appliquer une perspective de genre aux décisions politiques traînent depuis longtemps. Un plan d’application d’une forme d’analyse sexospécifique est en place depuis 1995.
En 2016, le vérificateur général, Michael Ferguson, a publié un rapport affirmant que les analyses sexospécifiques du gouvernement n’étaient «pas toujours complètes, ni de qualité constante».
En réaction au rapport, un plan d’action de 15 ans avait été instauré et le gouvernement assure qu’il travaille à la mise en œuvre de l’ACS +.
«Notre gouvernement continue de placer la problématique hommes-femmes au centre des décisions afin que nos politiques répondent mieux aux besoins de tous les Canadiens», a déclaré le porte-parole de Mme Monsef, Braeson Holland.
«Nous constatons des progrès significatifs dans l’ensemble du gouvernement, notamment en ce qui concerne les effectifs en place pour appuyer l’ACS +. Par exemple, les analystes des politiques de 80 pour cent des ministères suivent désormais le cours en ligne offert par Femmes et de l’Égalité des genres Canada. Nous continuons de voir une adhésion importante au gouvernement et continuerons de travailler avec nos partenaires partout au gouvernement pour promouvoir l’adhésion.»