Le gouvernement fédéral n’entend pas interdire les armes de poing à l’échelle du pays, reléguant plutôt cette responsabilité aux municipalités. Ottawa confirme aussi que son programme de rachat des armes d’assaut sera volontaire, et qu’il s’annonce coûteux.
Ottawa a déposé mardi matin à la Chambre des communes son nouveau projet de loi C-21 pour restreindre davantage l’accès aux armes à feu. En conférence de presse, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a fait valoir que celui-ci comporte les règles les plus sévères jamais mises en place au pays en la matière.
Programme de rachat volontaire
Ce projet de loi prévoit notamment de permettre aux propriétaires de plus de 1500 modèles d’armes d’assaut «de style militaire», interdites en mai dernier, de remettre celles-ci à l’État en échange d’une compensation financière. Ce programme de rachat ne sera pas obligatoire. Les propriétaires d’armes à feu de ce type ne pourront toutefois plus utiliser ni transporter celles-ci légalement. Ils devront plutôt les entreposer de façon sécuritaire. Des sanctions criminelles sévères s’appliqueront d’ailleurs à ceux qui contreviendront à ces règles.
«On a rendu ces armes inutiles parce qu’on ne peut plus les utiliser légalement. Donc, ça devient un incitatif fort pour que les propriétaires les remettent à l’État», a fait valoir mardi le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair. Plusieurs organismes ont toutefois milité dans les derniers mois pour réclamer que ce programme de rachat soit obligatoire.
«Ce qu’on a entendu aujourd’hui, c’est vraiment de la poudre aux yeux. Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas utiliser légalement ces armes que des personnes mal intentionnées ne les utiliseront pas», soulève à Métro la coordonnatrice de PolySeSouvient, Heidi Rathjen.
Dans une déclaration envoyée à Métro mardi, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a elle aussi qualifié de «décevant» le fait que le rachat des armes d’assaut se fera sur une base volontaire, «laissant craindre que cette mesure non contraignante échoue le test de l’efficacité».
M. Blair a toutefois fait valoir que le programme de rachat volontaire était la meilleure option pour le Canada.
«Nous nous sommes penchés sur les différents programmes de rachat des armes, notamment en Nouvelle-Zélande [où ce programme est obligatoire], et nous avons décidé de choisir le modèle qui sera le plus efficace», a-t-il dit. Selon le ministre «la majorité» des propriétaires de ces armes prohibées accepteront de se départir de celles-ci.
Un programme coûteux
Les propriétaires de ces armes d’assaut profitent d’ailleurs d’une amnistie en vigueur jusqu’au 30 avril 2022. Ils doivent toutefois respecter toutes les contraintes prévues dans ce projet de loi en attendant l’entrée en vigueur d’un programme de rachat.
Ottawa ignore par ailleurs combien il devra dépenser dans le cadre de ce programme. M. Blair a toutefois indiqué qu’il y aurait entre 150 000 et 200 000 armes d’assaut de ce type au pays. Le gouvernement fédéral pourrait donc avoir à débourser quelques centaines de millions de dollars pour racheter celles-ci.
«On espère que toutes les personnes qui ont acheté ces armes [d’assaut] de façon légale ne verront aucun intérêt à les conserver.» -Justin Trudeau, premier ministre du Canada
Armes de poing
Quant aux armes de poing, le gouvernement Trudeau entend appuyer les municipalités qui souhaiteront interdire celles-ci en restreignant leur transport et leur entreposage sur leur territoire. Il n’appliquera donc pas une interdiction à l’échelle du pays, comme le réclame la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Ottawa envisage toutefois de faire appliquer des peines sévères aux personnes qui ne respecteront pas ces éventuelles réglementations municipales.
«En délestant ce pouvoir aux villes, on rate l’objectif d’établir des règles claires, harmonisées et efficaces à l’ensemble du territoire et on impose aux villes la gestion d’un enjeu dont la complexité dépasse l’échelle locale», a réagi Mme Plante.
Pour qu’une interdiction des armes de poing soit efficace, il faudrait au moins qu’elle s’applique à l’ensemble des 82 municipalités de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), estime pour sa part le conseiller indépendant de Snowdon, Marvin Rotrand.
«On ne veut pas une réglementation qui s’applique seulement à Montréal, mais pas à Longueuil […] Si on pouvait avoir une mesure qui s’applique à l’ensemble de la région métropolitaine, ce serait un bon progrès», croit l’élu.
Valérie Plante déplore d’autre part que la disposition du projet de loi sur les armes de poing «vise uniquement celle acquise légalement». Or, plusieurs de ces armes, en circulation à Montréal, «sont acquises ou possédées illégalement», note la mairesse. Cette dernière entend d’ailleurs faire part de ses préoccupations dans une rencontre avec le ministre Bill Blair «plus tard cette semaine».
S’attaquer à la contrebande d’armes à feu
Le gouvernement fédéral entend par ailleurs s’attaquer à la circulation d’armes illégales, notamment en renforçant son contrôle des frontières et en investissant davantage dans les ressources policières destinées à la lutte contre le trafic d’armes. Les peines auxquelles s’exposent les propriétaires et les vendeurs d’armes illégales seront aussi alourdies.
Ottawa souhaite aussi prévenir que des armes à feu se retrouvent entre les mains de conjoints violents ou d’autres personnes dangereuses. Le projet de loi prévoit ainsi de permettre à quiconque de demander à un tribunal d’émettre une ordonnance pour priver de l’accès à ses armes à feu une personne considérée comme une menace pour elle-même ou pour les autres.
Le projet de loi devrait aussi permettre de demander à un contrôleur de suspendre et d’examiner le permis de possession d’arme à feu d’un individu.
«On voulait aider la police à pouvoir prendre des mesures importantes dans les situations dangereuses», a affirmé M. Trudeau.
Le projet de loi prévoit aussi d’imposer des peines de prison aux Canadiens qui modifieraient le chargeur de leur arme à feu de manière à pouvoir y introduire plus de cartouches que la quantité légale autorisée.
«Toute personne qui change la capacité des chargeurs au-delà de la capacité peut faire face à des années de prison», a indiqué le ministre de la Justice, David Lametti.