Le 11 septembre 2001, les attentats les plus meurtriers de l’histoire des États-Unis provoquaient une onde de choc partout sur la planète. Les terroristes étant des islamistes, les impacts sur les communautés arabes et musulmanes d’ici et d’ailleurs ne se sont pas fait attendre. Islamophobie, insultes, amalgames: des Montréalais d’origine arabe, qu’ils soient de confession musulmane ou non, continuent de vivre avec les conséquences de ce jour funeste 20 ans plus tard.
Les quatre attentats-suicides perpétrés par des membres du groupe terroriste Al-Qaïda ont causé la mort de près de 3000 personnes.
Ces attaques ont ouvert de nouveaux conflits, très longs, en plus d’installer un climat de méfiance constant envers les personnes d’origine arabe partout en Amérique du Nord.
Un évènement marquant pour beaucoup
Bien qu’elle n’était encore qu’une enfant de six ans au moment des attentats, l’auteure-compositrice-interprète Safia Nolin affirme que l’évènement a été marquant dans sa vie. La date du 11 septembre est tellement significative pour la chanteuse, dont le père est Algérien, qu’elle a décidé de sortir son premier album le 11 septembre. «Ça a été un événement tellement intense pour moi que c’était un moyen de boucler la boucle», explique-t-elle.
Au côté de cinq autres artistes, Safia Nolin aborde comment les attentats ont changé son quotidien dans le nouveau docu-variété de Télé-Québec Le 11 septembre et moi. À travers les six témoignages, le public découvre concrètement les retombées du 11 septembre 2001 sur toute une génération, particulièrement les enfants musulmans et ceux d’origine arabe.
Pour la sociologue Dalila Awada, également chroniqueuse chez Métro, le 11 septembre a marqué un tournant pour la communauté arabophone. «Cela ne veut pas dire qu’avant il n’y avait pas d’islamophobie, mais cela n’était pas aussi omniprésent», précise-t-elle. La chercheuse, dont le mémoire aborde les questions de l’islamophobie et du racisme au Québec, explique que pour la communauté arabophone et pour les musulmans de toutes les origines, le 11 septembre «a été vécu comme un trauma collectif».
Dans les périodes de trauma, il y a toutes sortes de réponses. Des gens par protection ont décidé de s’éloigner de l’islam. Il y a eu aussi la réaction inverse. Il n’y a pas eu qu’une seule façon de réagir.
Dalila Awada, sociologue.
Amalgames entre terroristes, arabes et musulmans
L’intimidation dont Safia Nolin a été victime a débuté le 11 septembre 2001. À partir de ce moment, les autres élèves de l’école primaire ont commencé à l’insulter et à la traiter différemment en raison de ses origines.
«D’un seul coup, je faisais partie des pas fins», se souvient la chanteuse, qui est née à Limoilou. «Les gens me disaient de retourner dans mon pays, mais Al-Qaïda et l’Algérie n’ont aucun lien.»
«Il y a un imaginaire autour de l’islam et des musulmans qui s’est installé: les hommes sont vus comme barbares, rétrogrades et violents et les femmes comme aliénées, soumises et complices de la violence.»
Dalila Awada, sociologue.
Des amalgames entre arabes, musulmans et terroristes, Hamza Abouelouafaa, 34 ans, en a entendu sans cesse depuis 20 ans.
Le Montréalais de confession musulmane, mais non pratiquant, se rappelle que la perception qu’avaient les autres de lui a changé peu de temps après le 11 septembre. Comme Safia Nolin, il s’est fait dire de «retourner dans son pays», raconte le photographe, né à Marrakech, au Maroc.
Les discours politiques ont commencé à polluer mon environnement: à l’école, dans l’autobus, dans le métro, quand j’essayais d’avoir une job, ou plus tard quand j’essayais de trouver un appartement.
Hamza Abouelouafaa
Le regard des autres était tellement pesant que Hamza Abouelouafaa trouvait cela difficile d’être dans des lieux publics. «Tu deviens un peu parano et tu ne sais plus comment agir. Tu ne sais pas si les gens te regardent comme tu es ou s’ils te regardent d’abord comme étant un arabe ou un musulman», confie Hamza.
«Si, avant, il pouvait y avoir un intérêt exotisant envers le monde musulman, cette curiosité s’est transformée en dégoût», ajoute pour sa part la sociologue Dalilia Awada.
Devant la montée de l’islamophobie, Hamza Abouelouafaa explique avoir même dû changer son nom de famille sur son CV. «Il avait une connotation trop arabophone et je n’arrivais pas du tout à trouver d’appartement ou de boulot», explique-t-il.
Un «avant» et un «après» les attentats
Selon Dalila Awada, les attentats du 11 septembre on bouleversé toutes les sphères sociales, tant au niveau individuel que collectif. Ils ont changé le rapport aux musulmans.
Ça a touché plein d’aspects, mais ça a surtout enfermé les musulmans dans un rôle négatif. Ils sont devenus comme des étrangers, il y a eu vraiment un enfermement dans un rôle négatif.
Dalila Awada, sociologue.
Plus jeune, Safia Nolin ne comprenait pas le comportement méfiant des autres envers elle et les autres personnes d’origine arabe qui vivaient dans la ville de Québec. «Pour moi, j’ai toujours été de l’autre côté, dit-elle. Je suis une fille de Québec!»
Vingt ans plus tard, Safia Nolin réalise l’ampleur du climat de panique global qui a découlé des attentats terroristes. «Ça a un impact pour toujours. L’islamophobie ambiante ne serait pas là s’il n’y avait pas eu le 11 septembre et comment ça a été médiatisé», pense-t-elle.
Les membres de la communauté arabe sont devenus l’«ennemi commun», pense Hamza Abouelouafaa. À propos de cette idée «d’ennemi commun», Dalilia Awada constate: «une fois que des stéréotypes sont en place, c’est dur de les défaire.»
Elle précise que si ce phénomène est global, il n’est pas linéaire, «Il y a des périodes d’accalmie». Des périodes plus violentes peuvent aussi émerger «en fonction de l’actualité».
Plus tard, au courant de l’été 2015, la crise des migrants a aussi exacerbé la crainte des immigrants musulmans en occident. «Les partis politiques, même au Québec, ont beaucoup utilisé la peur de l’étranger pour se faire du capital politique», dénonce M. Abouelouafaa.
Hamza Abouelouafaa estime qu’il y a eu un «avant» et un «après» le 11 septembre 2001 pour presque toutes les personnes à la peau brune ou qui semblent venir du Moyen-Orient. «L’ignorance est telle que même les Sikhs, qui ne sont pas musulmans, se font traiter d’Arabes!», déplore-t-il.
Paradoxalement, l’homme de 34 ans a observé une certaine accalmie de l’islamophobie durant les mois de la pandémie. «Le seul moment où je sentais qu’on mentionnait un peu moins les Arabes ou les musulmans, c’est pendant la COVID-19», dit-il.
Avec la collaboration de Rosanna Tiranti.