À l’heure où l’on observe une hausse marquée du nombre de nouveaux cas chez les moins de 10 ans, quelle va être la décision finale des parents récalcitrants à la vaccination?
Santé Canada a approuvé l’administration du vaccin de Pfizer-BioNTech contre la Covid-19 aux enfants de 5 à 11 ans.
La campagne de vaccination pourrait commencer dans quelques jours dans les écoles du Québec.
Les parents d’enfants de 5 à 11 ans font maintenant face à la décision de les faire vacciner ou non, à l’heure où l’on observe une hausse marquée du nombre de nouveaux cas chez les moins de 10 ans.
Ce choix engendre un niveau élevé d’anxiété chez de nombreux Canadiens, et domine la conversation liée à la Covid-19 sur les réseaux sociaux. Néanmoins, selon un récent sondage, 63 % des parents seraient favorables à la vaccination de leurs enfants.
Cette question me préoccupe sur le plan personnel également, puisque ma conjointe et moi devons décider si nous allons faire vacciner notre enfant de 8 ans. Je dois avouer qu’au moment d’écrire ces lignes, la réponse à cette question n’est pas évidente pour moi. Je passerai en revue, dans le présent article, la preuve scientifique accessible permettant aux parents, incluant moi-même, de prendre une décision éclairée.
Virologiste depuis plus de 25 ans, je suis professeur de microbiologie et maladies infectieuses à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Mes recherches portent sur le VIH-1 ainsi que sur des pathogènes émergents tels que le virus de la dengue et le SARS-CoV-2, virus de la Covid-19.
Quelle est la fréquence d’infection des enfants par la Covid-19?
Dès le tout début de la pandémie, il a été reconnu que les enfants étaient, tout comme les adultes, susceptibles d’être infectés par le virus de la Covid-19, mais avec des symptômes généralement plus légers. Par la suite, l’augmentation fulgurante du nombre de dépistages a permis de dresser un portrait de plus en plus précis de la prévalence de Covid-19 pédiatrique. Une analyse de la santé publique ontarienne a démontré que sur la période des 6 premiers mois de 2021, les enfants de moins de 18 ans présentaient un risque d’être infectés 40 % moins élevé que celui des adultes.
Cependant, l’infection à la Covid-19 chez les enfants est fréquemment sous-diagnostiquée, car très souvent asymptomatique, ou alors se manifestant par des symptômes peu spécifiques tels qu’une toux ou une fièvre modérées. On estime à présent que les chances d’être infectées par le virus sont similaires chez les enfants et les adultes.
Quelle est la fréquence de complications sérieuses chez les enfants?
Les hospitalisations et décès liés à Covid-19 sont nettement plus rares chez les enfants que chez les adultes. L’étude ontarienne rétrospective de Covid-19 pédiatrique a ainsi conclu que si 22% des personnes de plus de 65 ans infectées par la Covid-19 devront être hospitalisés, ce chiffre est de seulement 0,6% pour les moins de 18 ans. De plus, alors que 9 255 Ontariens de plus de 18 ans sont morts de la Covid-19 entre janvier et juin 2021, l’infection a été fatale chez seulement 2 enfants de moins de 18 ans.
Au Québec, on dénombre un seul décès de mineur depuis le début de la pandémie et, selon l’INSPQ, 446 personnes de moins de 20 ans ont dû être hospitalisées de la Covid-19 en date du 2 novembre 2021, incluant 69 qui ont dû être admises aux soins intensifs. Ce chiffre est très petit par rapport aux Québécois plus âgés (plus de 25 000 hospitalisés, dont plus de 4 700 aux soins intensifs).
On constate de plus un biais de prise en charge favorisant l’hospitalisation des jeunes enfants par précaution, même lorsque les symptômes sont légers. Ce biais est d’autant plus exacerbé lorsque l’enfant présente une comorbidité, c’est-à-dire une maladie préexistante tel le cancer ou certaines immunodéficiences, qui le prédispose aux complications de la Covid-19.
Il importe de souligner à ce propos que, selon l’INSPQ, il n’existe pas de statistiques québécoises ou canadiennes concernant la présence de comorbidités chez les enfants hospitalisés suite à une Covid-19. Des données suggèrent cependant que comme pour les adultes, ces comorbidités augmentent fortement le risque d’hospitalisation. De même, nous ne connaissons pas le risque d’hospitalisation chez les enfants sans comorbidité.
Par ailleurs, l’INSPQ ne dispose pas de chiffres concernant les enfants québécois ou canadiens atteints du syndrome inflammatoire multisystémique chez l’enfant (MIS-C), une complication rare mais particulièrement sérieuse de la Covid-19 et qui s’apparente à la maladie de Kawasaki. Cependant, une enquête journalistique menée par La Presse révèle que des centaines jeunes québécois ont été soignés en centre hospitalier pour de tels symptômes hyperinflammatoire depuis mars 2020, soit un nombre beaucoup plus élevé qu’avant la pandémie.
Quels sont les risques de Covid longue?
Les enfants atteints de Covid-19 symptomatique peuvent avoir des symptômes persistants pendant des mois, une maladie appelée Covid longue ou syndrome post-Covid. Des statistiques provenant de la santé publique anglaise concluent qu’environ 10 % des enfants infectés auront au moins un symptôme persistant 5 semaines après leur diagnostic.
Cependant, il s’agit surtout du déficit en données solides sur cette question qui frappe les analystes. Par ailleurs, à la lumière de ma collecte d’information et à l’instar de la situation prévalant à l’échelle mondiale, il semble que l’INSPQ ne dispose d’aucune donnée sur la prévalence de Covid longue chez les enfants au Québec ou au Canada.
Quels sont les vaccins Covid-19 pour enfants, et quelle est leur efficacité?
Dès le mois de février 2021, des compagnies telles que AstraZeneca et Sinovac annonçaient être en cours de préparation ou d’exécution d’essais cliniques chez les pré-adolescents. Le duo Pfizer/BioNTech s’est cependant positionné en tête du peloton, émettant en septembre et octobre une série de communiqués de presse annonçant que, chez les 5 à 11 ans, des doses de vaccin trois fois plus petites que celles utilisées chez les adultes aboutissaient à une protection contre l’infection symptomatique d’environ 90 %, une proportion similaire à celle qui était observée chez les adultes.
Le gouvernement américain a rapidement accordé son autorisation à la commercialisation, et le gouvernement canadien vient donc de franchir ce pas à son tour. La compagnie Moderna, quant à elle, a déposé une demande d’autorisation dans les derniers jours auprès de Santé Canada, pour son propre vaccin.
Quels sont les effets secondaires?
Pfizer/BioNTech ont affirmé que, à la lumière de leur essai clinique, les effets secondaires chez les enfants étaient similaires en nature et en fréquence à ceux observés chez les jeunes adultes. Il n’existe d’ailleurs pas de raison évidente de craindre des effets secondaires plus prononcés de ce vaccin chez les jeunes enfants, comparé aux adolescents. Cependant, il importe de souligner que l’on ne dispose pas encore des résultats détaillés découlant de cet essai clinique.
Cette carence en informations sur l’efficacité et l’innocuité d’un vaccin pourtant en voie d’être approuvé par les autorités sanitaires de plusieurs pays a frustré plusieurs collègues scientifiques, amenant l’un d’entre eux à parler de « science par communiqués de presse ».
Quels sont les éléments de la décision pour les parents?
Parmi les arguments avancés en faveur de la vaccination des enfants, on entend souvent celui de la protection des adultes, et surtout des aînés. Sur le plan éthique, cet argument est pourtant problématique : puisque ce sont les parents qui prennent la décision de vaccination pour ces jeunes enfants, le faire afin de protéger le reste de la communauté peut être considéré comme de l’altruisme imposé, ce qui est évidemment contraire à la définition même d’altruisme.
Ce sont les bénéfices pour l’enfant lui-même qui doivent être soupesés, loin devant toute autre considération. La Covid-19 pédiatrique sévère est une maladie rare, ce qui devrait logiquement exclure l’option de rendre la vaccination obligatoire pour les jeunes enfants. Cependant, elle n’est pas rare au point de conclure que la vaccination est superflue. Il importe également de prendre en compte la possibilité de Covid longue, et les conséquences négatives que celle-ci aurait sur le bien-être de l’enfant et sur sa scolarisation.
La vaccination des enfants atteints de déficiences immunitaires, d’obésité ou d’autres maladies les plaçant davantage à risque doit certainement être encouragée. Il n’en demeure pas moins que concernant les enfants qui ne souffrent pas de telles comorbidités, on demande présentement aux parents de les faire vacciner pour les protéger d’un risque qui a été très insuffisamment quantifié. Il nous faut espérer que des statistiques plus complètes seront disponibles bientôt pour nous permettre de mieux évaluer les bénéfices potentiels de ce vaccin. Pour la même raison, il serait souhaitable que les résultats détaillés de l’essai clinique réalisé par Pfizer/BioNTech sur les enfants soient publiés rapidement.
Ma conjointe et moi-même allons nous faire vacciner notre fils de 8 ans ? Probablement, afin d’éviter les risques de Covid longue et de MIS-C, quand bien même la fréquence de ces complications chez les enfants sans comorbidité n’est pas encore connue avec précision. Nous espérons avoir bientôt accès à davantage d’informations, ce qui atténuera le sentiment de malaise causé par la faiblesse de la preuve scientifique présentement disponible.
Vous avez une question sur les vaccins Covid-19 ? Envoyez-nous un courriel à l’adresse ca-vaccination@theconversation.com et des experts répondront à vos questions dans les prochains articles.
Lionel Berthoux, Professeur de microbiologie et maladies infectieuses, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.