MONTRÉAL — Le Québec vient de retrouver sa place dans le Canada en envoyant une imposante délégation de députés à Ottawa, s’est réjoui Justin Trudeau dans son discours de victoire, lundi soir.
«À mes compatriotes québécois: ce soir, ensemble, nous avons choisi la voie de l’engagement», a lancé le chef du Parti libéral du Canada (PLC) devant une bonne foule rassemblée dans une salle de l’hôtel Reine Elizabeth, à Montréal.
«Nous avons choisi de se réengager dans une politique plus rassembleuse, plus positive. Nous avons choisi de se réengager dans la gouverne d’un pays pour qu’il reflète nos valeurs et nos ambitions», a ajouté M. Trudeau, déclenchant un tonnerre d’applaudissements.
Il a commencé son discours en français avec une référence à un ancien premier ministre libéral.
«Il y a plus de 100 ans, un grand premier ministre, Wilfrid Laurier, a parlé des voies ensoleillées. Il savait que la politique peut être une force positive. C’est le message que les Canadiens ont envoyé aujourd’hui. Ils ont choisi le changement», a résumé le chef du PLC.
Il a ainsi attribué le succès de ses troupes à la façon rassembleuse qu’elles ont préconisée pour faire de la politique. «Voici ce que la politique menée de façon positive peut faire», et penser que cette approche peut fonctionner n’est donc «pas un rêve naïf», a-t-il plaidé.
Celui qui deviendra le 29e premier ministre de l’histoire du Canada a réservé ses premiers remerciements à son épouse Sophie et à ses trois enfants.
«On embarque dans une nouvelle aventure ensemble, et je peux vous dire qu’il y aura des moments difficiles comme enfant de premier ministre, mais papa sera là pour vous», a-t-il lancé.
Justin Trudeau a jusqu’à présent reçu les félicitations du président mexicain Enrique Pena Nieto par téléphone.
La composition du cabinet libéral devrait être connue d’ici environ deux semaines, mais beaucoup d’énergie sera également consacrée à la préparation en vue de sommets internationaux, dont le prochain G20 et la Conférence de Paris sur le climat, qui approchent à grands pas, selon son entourage.
Le politicien âgé de 43 ans aura donc récupéré lundi soir les clés du 24, promenade Sussex, que son père Pierre Elliott Trudeau avait laissées derrière lui il y a une trentaine d’années.
Après dix années de purgatoire à Ottawa, le PLC effectue un retour en force au gouvernement fédéral. Le score est époustouflant pour une formation qui n’avait fait élire que 34 députés, dont sept au Québec, à l’élection de 2011.
Mais voilà que quatre ans plus tard, une marée rouge a remplacé la vague orange du Nouveau Parti démocratique (NPD) qui avait déferlé sur le Québec. En fin de soirée, l’équipe de Justin Trudeau avait 40 candidats élus ou en avance au Québec contre 16 seulement pour le NPD.
Pour le coprésident de la campagne du PLC au Québec, Pablo Rodriguez, élu avec une écrasante majorité dans la circonscription montréalaise de Honoré—Mercier, la victoire de lundi est le résultat de trois années de travail acharné qui ont débuté avec l’élection de Justin Trudeau au poste de chef.
Est-il surpris d’avoir mené ses troupes québécoises à une victoire aussi décisive? «Je rêvais beaucoup, et je suis comblé», a lâché M. Rodriguez, l’un de ceux qui avaient été avalés par la vague orange en 2011.
Plusieurs des vainqueurs québécois sont considérés «ministrables».
Parmi les noms qui circulent figurent notamment celui de Mélanie Joly, qui l’a emporté dans d’Ahuntsic—Cartierville avec une majorité de près de 6500 voix sur la députée sortante Maria Mourani, qui se présentait sous la bannière néo-démocrate.
L’ancienne candidate à la mairie de Montréal n’a évidemment pas voulu spéculer sur les dossiers qu’elle aimerait porter si son chef lui confiait un tel poste.
«Ce sera à M. Trudeau de choisir, mais une chose est sûre, c’est que partout au pays, et en particulier au Québec, M. Trudeau va avoir l’embarras du choix», s’est contentée de répondre l’avocate de formation.
Même si elle n’a pas remporté la victoire dans la circonscription de Terrebonne, où elle avait été parachutée après avoir perdu la course à l’investiture dans Manicouagan, la candidate Michèle Audette a préféré voir le bon côté des choses.
«On va avoir notre enquête nationale publique (sur les femmes autochtones disparues ou assassinées), on va s’assurer que les relations entre le fédéral et les Autochtones vont s’améliorer. Pour moi, ça, c’est une grande victoire», a-t-elle dit au rassemblement du PLC.
Avec sa victoire de lundi, le chef libéral a réussi à prouver qu’une campagne positive pouvait fonctionner en politique, selon son conseiller Robert Asselin, qui avait participé aux campagnes de Paul Martin et de Michael Ignatieff avant de reprendre du service avec Justin Trudeau.
«La prémisse, depuis que (Stephen) Harper était là, c’était qu’il gagnait parce qu’il réussissait à définir et à attaquer ses adversaires. On n’a pas les résultats encore, mais j’espère que ça va démontrer que c’est le contraire», a-t-il soutenu en entrevue avec La Presse Canadienne en début de soirée.
Cet avis est partagé par Besmir Likaj, qui assistait à la soirée électorale des libéraux à Montréal. «Ça a été vraiment inspirant comme campagne, un peu comme la première que Barack Obama avait menée», analyse-t-il.
«Justin Trudeau a présenté, face au message de division et de ‘wedge politics’ des conservateurs, un message de rassemblement, de vision, d’avancement et d’avenir. C’est ce qui a pesé dans la balance», a suggéré le jeune homme âgé de 28 ans.
Amélie, qui avait songé appuyer le NPD mais qui a décidé de voter PLC de façon stratégique pour congédier Stephen Harper, ne s’attendait pas à une telle domination des troupes de Justin Trudeau — et tout compte fait, elle n’en demandait pas tant.
La promesse libérale de faire trois déficits consécutifs l’inquiète «un peu», et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle aurait «vraiment» préféré l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire sous surveillance.
La campagne du PLC a été émaillée d’un seul écueil majeur — l’éjection cette semaine du coprésident de la campagne nationale, Dan Gagnier, pour avoir fourni des conseils de lobbying au promoteur du projet d’oléoduc Énergie Est, TransCanada.
Mais il était manifestement trop tard pour renverser la vapeur.
Justin Trudeau a bouclé sa campagne avec une démonstration de force, attirant à chaque escale des centaines de sympathisants souvent euphoriques dans des salles de Halifax à Vancouver, en passant par Winnipeg, Edmonton ou encore Calgary.
«L’image que j’ai en tête, c’est le rassemblement d’hier (dimanche) à Calgary, la ville où on n’a pas gagné un siège depuis 1968. Il y avait des gens partout, l’énergie, la réponse que les gens donnent à cet homme-là (M. Trudeau) quand il parle, c’est assez incroyable», a plaidé Robert Asselin.