Culture

Wyclef Jean: «J’ai l’impression que nous sommes revenus aux années 1950»

Vingt ans après The Carnival, Wyclef Jean présente le troisième volet de son album culte, en suivant le déclin et l’essor d’un réfugié. The Fall and the Rise of a Refugee. Un disque qui tombe à point nommé.

«J’aime l’Amérique, mais les choses sont folles ces jours-ci. On y célèbre la white supremacy», a chanté Wyclef vendredi, sur la Plaza St-Hubert, dans le cadre d’une prestation surprise.

Le musicien né à Croix-des-Bouquets en a profité pour lancer un message d’espoir aux réfugiés «stationnés dans le Dôme» (lire: le Stade). Et rappeler au président américain que «Haïti ne peut reprendre 50 000 personnes après le tremblement de terre».

Jusqu’ici, le musicien avait appelé à répétition au dialogue, à la discussion. Mais depuis les émeutes de Charlottesville, il dit que «sa perspective a changé». Lorsque nous le rencontrons sur la terrasse de l’Hôtel 10, quelques heures avant son show inopiné, il ne cache pas son effarement.

«J’ai l’impression que nous sommes revenus aux années 1950, lance-t-il. L’effronterie qu’ont ces suprémacistes de penser qu’ils peuvent marcher ainsi dans les rues d’un pays d’immigrants…! Et les mots qui sortent de leur bouche! En 2017?! Il y a de quoi se demander où s’en va le monde. Honte à eux. Vraiment.»

Honte aussi, ajoute-t-il, à ceux qui font preuve d’une trop grande clémence à l’égard de tels gestes et de tels propos. «Ce comportement ne devrait être accepté par personne. Nous devons avoir une forme d’unité, entre les démocrates, les républicains, les indépendants. Entre tout le monde. Wow. S’ils peuvent sortir et faire ÇA et que personne ne dit rien, que le commandant en chef dénonce sans vraiment dénoncer, qu’est-ce qu’ils vont faire ensuite? Quand j’ai vu ça, ça m’a définitivement mis dans un autre état d’esprit…»

Lequel?
Celui de: «Nous devons être certains que nous nous protégerons.» Si c’est ainsi qu’ils commencent à avancer, je dois… vous voyez ce que je veux dire? Je ne vais pas laisser quelqu’un entrer chez moi, toucher à ma fille, à ma famille. On est en 2017. C’est un autre monde.

Je dénonce la violence à 3 000 %, mais si ces gens débarquent dans ce genre de situation avec ce genre de mentalité, nous n’aurons pas d’autre choix que de nous défendre.

Vous répétez pourtant souvent être un optimiste. Aujourd’hui, voyez-vous une solution?
Pour moi, un premier pas serait que les démocrates, les républicains, les indépendants se disent «travaillons tous ensemble à une meilleure législation». Qui est le maire de cet endroit? Comment avez-vous laissé une telle chose arriver? Nous devons empêcher que ce genre d’événement se reproduise.

Certains diront: «Ce sont les États-Unis d’Amérique. Tout le monde a le droit de dire ce qu’il veut.» Oui, vous avez le droit. Mais si vous organisez une marche et que non seulement vous vous exprimez, mais que vous agissez violemment et que vous assassinez une personne, ça risque de se répéter. Vous allez tuer de plus en plus de gens.

Justin Trudeau? He’s da bomb! C’est un homme bienveillant, spirituel. Et bien plus beau que moi. D’ailleurs, si le premier ministre lit ceci, je veux qu’il sache que je suis disponible pour discuter de la situation des réfugiés avec lui. J’aimerais faire partie de toute forme de solution véritable. – Wyclef Jean, lançant une invitation ouverte

Vous avez récemment lancé un appel aux artistes anti-Trump en leur suggérant de ne pas agir comme Kathy Griffin [qui a posé avec le modèle d’une tête décapitée du président américain]. Vous leur avez plutôt proposé de suivre les pas de l’animateur Jimmy Kimmel. Pourquoi?
La politique est une chose épineuse. Je dis aux artistes : faites attention à ce que vous dites parce qu’ils peuvent déformer vos mots, les utiliser à leur avantage. Soyez vigilants. Souvent, en tant qu’artistes, nous nous exprimons sous le coup de l’émotion. Nos propos sont pris hors contexte. C’est ce que nous faisons, la raison pour laquelle vous aimez tant notre musique. Nous sommes vulnérables. Mais nous devons faire attention. Les politiciens savent que beaucoup de gens nous écoutent. Que nous avons du pouvoir.

Parlant de gens qui vous écoutent, auriez-vous un message pour les réfugiés haïtiens?
J’ai parcouru la planète et rencontré des réfugiés de la Syrie, de la Somalie. Maintenant, il y en a ici, sous le Dôme. Ils ont peur que Trump ne respecte pas la promesse faite par le TPS. C’est une situation très délicate. Je crois au Canada. Je l’ai dit et je le dirai encore: moi, Wyclef Jean, et mes amis célèbres, nous croyons à de telles causes. Nous sommes prêts à passer à l’action. S’il y a une forme de solution à laquelle le gouvernement canadien travaille pour garder une majorité de ces réfugiés, et à laquelle nous pouvons participer, nous sommes partants. Moi tout particulièrement. À 100 %.

Vous ouvrez d’ailleurs votre album avec la pièce Slums, et une mention: «J’aimerais dédier cette chanson à tous les réfugiés.» Plus tard, vous y notez: «Statistiquement, je ne serais même pas censé être rendu où je suis.» Vous êtes arrivé aux États-Unis à 10 ans. Cette histoire, c’est la vôtre, mais ça pourrait être celle de plusieurs…
Oui. C’est une chanson qui souhaite pousser la réflexion. Pour nous rappeler que nous sommes vraiment semblables, même si nous essayons d’agir différemment. C’est une chanson sur l’espoir. Sur le refuge. Sur le fait de trouver un sentiment d’appartenance.

Malgré les morceaux plus sombres, engagés, vous suivez votre tradition et les entrecoupez d’autres comme What Happened to Love, qui est funky, dansante, remplie de groove. Une nécessité?
Oui, oui. Tous mes albums sont comme des manèges. Ils répliquent les émotions que nous ressentons en réalité. Des fois on aime danser, des fois, on aime faire l’amour. Des fois, on est vulnérable. C’est un album sur le temps qu’il nous reste. Une réflexion sur l’avenir. Notre temps est-il compté?

Sur une autre note, êtes-vous fatigué qu’on vous demande si et quand les Fugees vont revenir ensemble?
Pas du tout. Je suis fan des Fugees! (Rires) Je dis toujours aux gens de ne jamais arrêter de poser cette question. Et je leur réponds toujours de façon optimiste. Je ne perds pas espoir.

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