Aller voir Clerks II, Les Visiteurs, Office Space ou bien Ti-Mine, Bernie et pis la gang, en gang, à la Cinémathèque québécoise, haut lieu du septième art? Si, si, ce sera possible tout l’été, dans le cadre du cycle comédies que présente l’institution.
Avec cette programmation estivale comportant plus d’une centaine de comédies, la Cinémathèque souhaite redorer le blason d’un genre cinématographique trop souvent sous-estimé. «C’est rare qu’il y a des comédies à Cannes, ou que des comédies remportent l’Oscar du Meilleur film. Et les acteurs comiques reçoivent rarement un Oscar ou un César», constate Marcel Jean, directeur général de la Cinémathèque et maître d’œuvre de ce cycle.
L’ex-rédacteur de la revue 24 images se souvient d’une édition spéciale consacrée à la comédie. «Ce n’est pas un numéro qui a marché très fort auprès des cinéphiles. On dirait qu’il y a toujours un peu un regard hautain.»
Selon lui, il y a là une forme de rançon: en faisant de la comédie, les cinéastes obtiennent un succès auprès du public, mais passent souvent à côté d’une reconnaissance critique.
Rare exception au Québec, Ricardo Trogi a obtenu à la fois un succès d’estime et populaire avec sa trilogie 1981, 1987 et 1991. Le mois dernier, le plus récent de la série a remporté les grands honneurs au Gala Québec Cinéma. Le premier volet sera présenté le 30 août dans le cadre du cycle estival.
Selon lui, le manque de reconnaissance de ce genre cinématographique s’explique assez simplement. «Tu ne peux pas compétitionner avec certains sujets. Ça va toujours être mal vu, je sais pas moi, de donner l’Oscar du Meilleur film au Flic de Beverly Hills si, la même année, il y a un film sur l’Holocauste. Ce serait une très mauvaise idée de faire ça… Mais je serais curieux de voir si ça ferait scandale!» ajoute-t-il, amusé.
«La comédie, c’est mon premier coup de foudre. C’est ma première rencontre avec le cinéma.» Ricardo Trogi, cinéaste
Pour le cinéaste, il allait de soi de réaliser des films drôles: «J’ai toujours aimé les comédies, c’est le summum du divertissement pour moi, et c’est souvent ce que j’écoute en premier.» Ça, et le fait que ce genre corresponde à merveille à sa joie de vivre. «Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement tiraillé, j’aime beaucoup rigoler», résume-t-il.
Ce n’est pas pour autant plus facile d’écrire et de tourner une comédie qu’un drame, assure-t-il. «Détrompez-vous! Si la scène n’est pas drôle, t’as un esti de problème à régler!»
C’est une des raisons pour lesquelles la Cinémathèque a voulu désacraliser le genre. «La Cinémathèque, c’est un musée du cinéma. Quand on projette des films ici, il y a une crédibilité derrière et un statut qui fait que les gens se disent: “Ah bon, quand même”», avance Marcel Jean.
Ainsi, l’idée de projeter des films qui ont tendance à être regardés de haut plaisait au programmateur, qui y va d’un exemple: «Une de mes comédies préférées est Office Space de Mike Judge.» Dans ce film de 1999 qui sera présenté le 30 juillet, un employé de bureau blasé et improductif devient un modèle de réussite pour des consultants embauchés par son patron pour faire une restructuration.
«C’est une comédie totalement absurde sur l’organisation du travail et sur le capitalisme. C’est un film très drôle. Mike Judge a aussi créé Beavis et Butt-Head et Henri pis sa gang. Selon moi, c’est un génie comique, mais il est sous-estimé. Ce n’est pas quelqu’un qu’on projette normalement dans les cinémathèques.»
Derrière leur apparente légèreté, les comédies abordent aussi des enjeux de société. Par exemple, les comédies françaises cultes que sont Le dîner de cons et Bienvenue chez les Ch’tis parlent d’exclusion, de différence et de préjugés.
Autre exemple: «On présente le 17 juillet Le Grand bazar, de Claude Zidi. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, il reste que c’est un film fait en 1973 dans lequel des personnages défendent un petit commerce contre un énorme supermarché, un genre de Walmart. Ils vont tout faire pour défendre le commerçant de proximité face à la grosse entreprise. Ce film a 46 ans et aborde des problématiques complètement d’actualité. Et c’est superbe pour un enfant, j’avais 10 ans quand c’est sorti; j’ai ri à en avoir mal au ventre à l’époque.»
Partager le plaisir
Voilà une des beautés de la comédie: elle s’apprécie à tous les âges. Et encore plus lorsqu’elle est visionnée avec des proches. Ça tombe bien, un des objectifs des cycles d’été est d’élargir le public de la Cinémathèque. Les cinéphiles sont ainsi invités à partager leur plaisir.
«On aime l’idée que des parents veuillent amener leurs enfants ou leurs adolescents en leur disant: “J’ai tellement ri quand j’ai vu ce film il y a 25 ans!” Des films comme La vie est un long fleuve tranquille, Les ripoux ou Les visiteurs ont eu un succès absolument énorme à leur sortie. Mais des générations de spectateurs ne les ont pas vus», soutient Marcel Jean.
Pour Ricardo Trogi, il n’y a pas de plus grand plaisir que de revoir une bonne comédie. «Il y a des films qu’on pogne à la télé… Si tu tombes sur Back to the Future, il n’y a pas beaucoup de chance que tu changes de poste! Ça arrive souvent avec des comédies. Elles ont des personnalités très fortes, elles sont attachantes, ça donne le goût de les revisiter», avance-t-il.
C’est ce qui explique, entre autres, pourquoi sa copie DVD de La liste de Schindler repose toujours dans son emballage. «J’en ai quelques autres comme ça que je pensais que je voudrais revoir éventuellement… mais ça me tente pas! laisse-t-il tomber en riant. C’est juste ça! Les comédies se réécoutent mieux que les drames. Il n’y a pas beaucoup de drames que j’ai envie de revoir en invitant du monde.»
En plus de permettre de redécouvrir des classiques, dont les films québécois Elvis Gratton: Le king des kings et IXE-13, la programmation diversifiée de la Cinémathèque fait une belle place aux découvertes. Tout y passe: comédies muettes, burlesques, d’horreur, dramatiques, slapstick… Le tout provenant des quatre coins du monde: Québec, France et États-Unis, bien sûr, mais aussi Italie, Japon, Algérie et Cuba. «On veut montrer ce qui fait rire partout dans le monde», résume Marcel Jean.
Autre critère de sélection du programmateur : la présence de classiques. «On y tenait absolument. Il y a des films qui ont une histoire particulière au Québec, par exemple Louis 19, roi des ondes, dont c’est le 25e anniversaire cette année. Ce film a donné lieu à un remake américain; il n’y en a quand même pas des tonnes.»
Dans le cadre du festival Fantasia, l’institution projettera aussi quelques comédies d’horreur. «Je pense au Bal des vampires, de Roman Polanski, à Frankestein Junior de Mel Brooks et à Karmina de Gabriel Pelletier», poursuit-il.
Marcel Jean s’est également amusé à créer des ponts entre les films sélectionnés. «Le 27 août, on a programmé Charlotte a du fun, de Sophie Lorain, un film que j’aime beaucoup, qui est très original dans la production québécoise, une comédie adolescente très pas-politiquement-correct, qui me fait penser beaucoup à l’esprit de Clerks, de Kevin Smith. On a donc programmé Clerks II juste après, histoire de montrer la parenté entre ces deux films», cite-t-il en exemple.
Point non négligeable en cette première canicule de l’année: le cycle comédies promet non seulement des éclats de rire à profusion, mais elle garantit aussi une pause climatisée de qualité.
Un peu d’info
Le cycle comédies
Jusqu’au 31 août à la Cinémathèque
cinematheque.qc.ca