L’année cinématographique s’ouvre sous la chaleur étouffante et parfois toxique du Brésil avec La vie invisible d’Euridice Gusmao, de Karim Aïnouz.
Deux sœurs ont soif de liberté et d’émancipation dans le Rio de Janeiro des années 1950, se heurtant au régime traditionnel de l’époque qui finira par les séparer.
«Lorsque j’ai lu le livre de Martha Batalha, ça m’a rappelé ma mère, se remémore le metteur en scène de 53 ans, joint à Berlin. Cette génération de femmes qui s’est beaucoup battue pour qu’on soit où on est maintenant.»
Inspiré par sa double nationalité kabylo-brésilienne, le cinéaste a conçu une œuvre autour de personnages solitaires qui vivent en marge d’une société cherchant à les exclure. Il le fait cette fois avec une rare sensibilité féminine évoquant celle de Todd Haynes, de Pedro Almodovar et de Rainer Werner Fassbinder.
«C’est l’histoire de femmes que je connais très bien, confie celui qui a été élevé dans un milieu presque exclusivement féminin. Cependant, je ne pouvais pas faire ce projet sans mes collaboratrices. C’est un processus collectif et j’ai eu beaucoup d’aide des nombreuses femmes qui faisaient partie de l’équipe du film, que ce soit ma monteuse, ma chef opératrice, etc.»
Se déroulant sur plusieurs décennies, La vie invisible d’Euridice Gusmao ressemble parfois à un opéra, à un mélodrame tropical et sentimental plein d’émotions et de couleurs vives dans la lignée de ceux de Douglas Sirk. Une véritable subversion du genre qui permet de regarder le passé à partir du présent.
«On pense au mélodrame comme à un genre qui est très prude, expose le réalisateur et coscénariste. Le sujet principal du film est la soumission et même l’oppression des corps féminins par un système patriarcal, et c’était nécessaire de voir quelles étaient les conséquences de ce système sur le corps de la femme. C’est pourquoi il fallait montrer certaines scènes. Ce n’est pas que le film soit cru; en fait, il décrit une société, un contexte, un système qui étaient très violents et qui, normalement, sont représentés de façon assez pudique. Ça n’aurait pas été juste de parler de toute cette histoire de façon pudique.»
«Plus je me plongeais dans l’Histoire, plus je me rendais compte que beaucoup de monde ne savait pas ce qui se passait au Brésil dans les années 1950.» Karim Aïnouz, réalisateur
Karim Aïnouz a donc fait un long métrage sur la résilience dans un pays de plus en plus conservateur, dont les avancées sociales se heurtent encore à des élans machistes.
«Je crois que le patriarcat est toujours là, mais ça sent le désespoir, avance le créateur de Madame Sata. C’est comme s’il était proche de sa fin et que ça le rendait plus violent. Beaucoup de choses restent très figées, très compliquées. Une espèce de désir refoulé du patriarcat est remonté à la surface pour devenir la règle du jeu.»